|
Rien n'est jamais acquis au
joueur, ni ses forces
Ni ses faiblesses ni ses hoshis, quand il croit
Avoir deux yeux, sa forme est celle d'une croix
Et quand enfin il prend, un shibori
le broie
Son jeu est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas de joueur heureux.
Ses pierres, elles ressemblent à des soldats sans armes
Qu'on aurait posés là pour un autre destin
A quoi leur ont servis d'être joués matin
Elles qu'on retrouve au yose
en dames
incertains?
Dites ces mots "Mes coups..." et retenez vos larmes
Il n'y a pas de joueur heureux
Mon beau moyo
, mon grand moyo, ta déchirure
Je la ressens en moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là, sans savoir, me regardent jouer
Commentant après moi mes pauvres hametes
Qui, ne pouvant faire d'yeux, tout aussitôt moururent
Il n'y a pas de joueur heureux
Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard
Et s'étreignent en seki
nos groupes moribonds
Oh qu'il reste d'aji
dans la moindre extension
Et qu'il faut d'influence pour la moindre invasion
Et qu'il faut de gote
pour réparer les tares...
Il n'y a pas de joueur heureux
Aragon et Brassens
(p.c.c. F***)
|
|
Notes (à
l'usage des non-joueurs de go, et des joueurs ayant bénéficié d'un enseignement
en français):
forme de croix : une des formes mortes classiques
hoshi : étoiles, les repères marqués sur la grille
shibori : étreinte, essorage (manoeuvre de construction d'influence
exploitant l'aji
d'une pierre de sacrifice)
yose : fin de partie (il faudrait prononcer yosé, mais c'est une license poétique)
dame : intersection neutre (n'appartenant définitivemment plus à
personne)
moyo : zone d'influence, territoire potentiel
hamete : piège, traquenard
seki : impasse (groupes sans yeux imprenables par équilibre de la terreur)
aji : arrière-goût, potentiel de nuisance résiduel
gote : perte de l'initiative.
|