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Lettre ouverte à  un jeune joueur prometteur, mais découragé...

Je tiens d'abord à te rassurer : tout ça, c'est normal, et on est tous passés par là (par exemple, j'ai stagné plus d'un an à  1er kyu, alors que j'étais dans le milieu ultra-favorisé du club de Paris, que je jouais tous les jours avec maître Lim, etc.), mais il ne faut pas perdre confiance...  À un niveau plus élevé, tu trouveras aisément dans GoWorld de nombreux exemples de pros racontant leurs déceptions et leurs blocages (vers 2-3 dan pro), et le remède semble bien être (pour eux) le retour aux sources: parties de Shusaku et des autres, par exemple (c'est d'ailleurs encore ce qu'a fait Sakata lors de sa phase de découragement vers la quarantaine ; et lui, ce qui le décourageait, c'était d'avoir perdu son quadruple titre!)

 

Mais, vas-tu me dire, « de toute façon, on ne comprend rien à ce qu'ils font, alors à quoi bon les imiter » ?  La question n'est pas stupide, mais il me semble qu'il y a là un malentendu: quand on te propose de lire Proust ou Baudelaire  (pour ne parler que des disciplines ne nécessitant pas un long entraînement technique préalable, comme la peinture ou la musique), ce n'est pas pour les imiter, ni pour « comprendre » comment ils font, mais parce que c'est beau, et que le plaisir que nous apporte le peu que nous « comprenons » de leur œuvre est ce qui nous importe. De ce point de vue, ton choix de Go Seigen était-il  bien justifié? Tu es seul à pouvoir répondre: si tu aimes ses parties, si tu es émerveillé par sa créativité, il n'y a pas de problème; tes remarques m'amèneraient à penser qu'il y avait aussi là un élément d'admiration par imitation (il n'y a pas de blâme; c'est un travers quasi-universel); le test est facile, tu prends quelques parties jouées par lui  et tu vois si tu le reconnais un peu plus de 50% du temps ...


En tout cas, le but (technique) de la reproduction des parties des pros est de s'imprégner de théorie (élémentaire, ne rêvons pas) et de se convaincre de la valeur des bons coups; de ce point de vue, il est essentiel de fréquenter des joueurs « classiques » (Takagawa, Rin Kaiho, Kobayashi, Cho Chikun, pour ne parler que des japonais) autant, sinon plus que de grands artistes comme Go Seigen, Shuko ou Takemiya. Et de ne pas pour autant sombrer dans le découragement; ils jouent sans doute infiniment mieux que nous ne jouerons jamais (et ce qui est plus grave, ils jouent à un autre jeu, qui a l'air bien intéressant, lui, et qui s'appelle le Go), mais on ne nous en demande pas tant; essayons déjà de jouer nos meilleurs coups et de rester en permanence "en prise" avec notre compréhension théorique (limitée, je te l'accorde), et ce sera déjà très bien. Et comme toujours, le reste nous sera alors accordé de surcroît: les victoires, et les progrès.


Je ne peux donc que t'encourager à t'y remettre, par exemple en reprenant tes propres parties et en repérant ce qui n'était pas digne de toi, non pour te lamenter encore, mais pour prendre conscience de ce que tu peux faire en fait (tu as même le droit de retrouver des parties dont tu es content, et d'en apprécier les bons coups), puis en  jouant sans trop viser le gain ou le génie, mais l'honnête travail artisanal bien fait. Et, je le répète, tu devrais alors sortir de ton marasme actuel. Une autre piste prometteuse: tente de convaincre des gens autour de toi de l'intérêt de ce noble jeu, commente des parties, etc. C'est en faisant vivre tes passions que tu leur donneras du corps et des arguments.