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Jacques Brel, 6 dan ... Qui aurait pu deviner que
derrière ce poète déchiré se cachait un joueur de premier plan,
initié au Go par Hergé lui-même ? Personne ! Nul n'a jamais vu
Jacques Brel dans un club de Go ou dans un tournoi. Et pourtant ...
Au cours des décennies 1950 et 1960, Jacques Brel a écumé les tournois
européens. N'en ratant aucun, les gagnant souvent, mais sans jamais apparaître
sous sa véritable identité. Il y venait grimé de fausses moustaches,
parlant anglais avec l'accent du Midi, changeant de pseudonyme à chaque
fois.
Il s'agissait pour Jacques (entre joueurs de Go, on s'appelle par son
prénom) d'échapper aux foudres de son impresario, un certain X, joueur
d'échecs aussi médiocre (vers la fin de sa vie il commençait à peine
à comprendre le coup du berger) que dogmatique. Ayant surpris notre ami,
alors chanteur débutant, un dictionnaire de joseki à la main, il
lui fit clairement comprendre que sa carrière s'arrêterait le jour où
sa passion pour le Go serait connue du public.
Jacques fut dès lors réduit à jouer en cachette ... Pour éteindre
le conflit intérieur qui le rongeait, il tenta de fusionner ses deux
amours, le Go et la chanson et composa quelques textes consacrés au jeu.
Naturellement, il était hors de question de les interpréter tels quels ...
et Jacques fut contraint de réécrire ces paroles sur un mode plus
classique. Le succès rencontré auprès du public par ces réécritures
montre à l'évidence que le talent du parolier ne s'exprimait jamais
mieux qu'à propos du Go. Jamais, cependant, il ne réussit à surmonter
l'infernal dilemme et en mourra, râpé par le destin alors qu'il
rédigeait les statuts du Club de Go des Marquises.
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NE ME COUPE PAS
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1.
Ne me coupe pas
Laisse-moi relier
Tout peut se relier
Qui s’enfuit déjà.
Relier ces groupes
Qui semblent perdus
Car je n’ai pas su
Protéger leur coupe
Et ceux qui se meurent
Qui ont succombé
À un nakade
Joué en plein cœur
Ne les coupe pas, ne les coupe pas,
Ne les coupe pas …
2.
Moi je trouverai
De beaux tesuji
Oui, un coup exquis
Me connectera
J’irai sous les pierres
Même après leur mort
Y chercher encore
Quelque chose à faire
Je ferai un domaine
Qui sera bien à moi
Où régnera ma loi
Où tu seras en peine
Ne l’envahis pas, ne l’envahis pas,
Ne l’envahis pas ... | |
3.
Ne m’envahis pas
Je te chasserai
Droit vers des filets
Où tu te prendras
Je te parlerai
De ces groupes-là
Qui ont vu deux fois
Leurs yeux se fermer
Je te raconterai
L’histoire de ce tas
Mort de n’avoir pas
Pu se connecter
Ne m’envahis pas, ne m’envahis pas,
Ne m’envahis pas ...
4.
On a vu souvent
Rejaillir l’aji
Du ko de mille ans
Qu’on croyait fini
Il est paraît-il
Des seki certains
Donnant plus de points
Qu’une vie tranquille
Pour qu’un territoire
Au yose
se voit
Les blancs et les noirs
Ne s‘épousent-ils pas
Ne me combat pas, ne me combat pas,
Ne me combat pas ...
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5.
Ne me combat pas
Je ne veux plus lutter
Je ne veux plus pleurer
Je vais rester là
À te regarder
Tuer et sourire
Et à t’écouter
Compter, et puis rire
Laisse-moi finir
D’ajouter tes points
De ranger tes pierres
D’enregistrer ton gain
Ne commente pas, ne commente pas …
(et vous) Ne kibbitzez
pas ... |
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LE PLAT MOYO
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1.
Avec le bord d'en haut
Pour dernier terrain vague
Et de vagues keimas
Pour arrêter les vagues
D'envahisseurs ; avec
Des pierres qu'ils dépassent
Et qui n'auront jamais
De quoi vivre sur place
Avec infiniment
De sente à subir
Au temps de l'érosion
Voyez-le rétrécir
Le plat moyo
Qui est le mien
2.
Avec au point vital
Une ombre qui le gagne
Et malgré ses deux murs
Semblables à des montagnes,
Laissant filer au centre
Des tobi connectés
Des formes résilientes
Pleines de libertés
Et trouvant des chemins
Que je n'ai su bloquer
Au temps de l'invasion
Regardez-le craquer
Le plat moyo
Qui est le mien.
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3.
Avec un mur si bas
Qu'un sansan s'est perdu,
Avec un mur si bas
Qu'il est surconcentré,
Avec un mur si laid
Qu'un kibbitzer s'est tu,
Avec un mur si laid
Qu'il mourrait en gote
Avec un point vital
Où j'aurais dû jouer
Au temps du tsumego
Regardez-le trembler
Le plat moyo
Qui est le mien
4.
Avec des tesujis
Utilisant des kos
Avec enfin des coups
Qui ressemblent à du go
Quand l'aji tôt créé
Se réveille soudain
Quand ses groupes harcelés
Ont perdu leurs chemins
Quand c'est à moi de rire
Quand j'ai tout capturé
Quand vient le temps des comptes
Regardez-le gonfler
Le grand moyo
Qui est le mien |
GRAND JACQUES
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C'est trop facile d'entrer dans les
moyos
Pour y jouer tout un tas d'hametes
Face aux débutants qui fondent en sanglots,
Perdent leurs yeux et se font capturer
"Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu des moyos ?
Un sansan, un komoku
Tu ne joues jamais plus haut …"
C'est trop facile, le semeai fini
De prétendre avoir sacrifié ses pierres
Joueurs brutaux ignorant les sekis
Vos goban ressemblent à des cimetières
"Tais-toi donc, grand Jacques
Laisse-les crier de joie
Laisse-les compter leurs tas
Toi qui refuses tous les combats …"
C'est trop facile quand un hoshi se meurt
Frappé au cœur, cerné de tous côtés
De jouer un yose-ko de dernière heure
Comme si les kos duraient l'éternité
"Tais-toi donc, grand Jacques
Que sais-tu du tsumego ?
Toi qui, ayant deux yeux
Cherches encore tes points vitaux …"
Et dis-toi bien, grand Jacques
Qu'être un joueur en Dan
C'est trop facile de faire semblant … |
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