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Questions de règles

Introduction
Avant la partie : taille du goban, handicap, etc.
Règles décrivant la marche de la partie.
Compter la position finale : les principes
Les problèmes de la règle japonaise : qu’est-ce qu’un groupe mort ?
Problèmes chinois
Méthodes de décompte
Le Blanc a-t-il raison de se plaindre ?
Le choix du komi
Appendice : la règle néo-zélandaise, une règle complète, rigoureuse et concise.

Introduction

 

Ce texte s’adresse à tout joueur de go connaissant (raisonnablement bien ) une des règles existantes (probablement la règle française), mais voulant en savoir plus, et en particulier intrigué par les subtilités de la pénalité d’un point quand  Blanc passe le premier, par l’étrangeté des exceptions japonaises (genre « quatre courbés dans le coin », voire « trois points sans jouer ») et autres facéties. De nombreux exposés existent sur le Web, à commencer par celui dû à François Mizessyn (ou plus précisément la version que j'en ai réécrite, et qui contient aussi de nombreuses précisions recoupant cet article-ci), et les analyses les plus complètes (en anglais) figurent sans doute sur la page personnelle de Robert Jasiek. De plus, une analyse de nombreuses questions liées aux règles japonaises amenant à une réécriture de celles-ci vient d'être faite par Robert Pauli sous le nom de « Logical Japanese Rules of Go ». Mais j’ai cependant estimé utile une approche plus « philosophique » de la question, mettant les enjeux en évidence, et, accessoirement, destinée à rassurer les joueurs moyens : la plupart de ces complications n’ont, en pratique, qu’une très faible importance, et, comme on le verra plus bas, il est exceptionnel que le choix de la règle influe sur la conduite de la partie, ou sur le vainqueur.

  

Avant la partie : taille du goban, handicap, etc.

Le Go (ou plutôt le Weichi, quand on parle de ses origines) a pour enjeu l'occupation et le contrôle d'un terrain (quadrillé), mais ce n'était sans doute pas l'objectif initial, et l'origine réelle du jeu reste incertaine, tout comme la question de savoir s'il y avait une signification (symbolique ou autre) au choix du terrain primitif. Quoi qu'il en soit, le terrain actuel (le goban 19×19) n'est pas le seul possible (et a longtemps été concurrencé par la forme 17×17), mais, en dehors d'expérimentations sur 21×21, et de parties d'initiation sur terrains plus petits, seul, étrangement, le jeu sur 9×9 est encore parfois pratiqué sérieusement par des joueurs de haut niveau.

Il semble logique que la partie s'engage sur un terrain vide, mais il n'en a pourtant pas toujours été ainsi : les anciennes parties chinoises commençaient avec les quatre coins occupés, et on connait même une variante coréenne où 17 pierres étaient d'abord posées avant que la partie s'engage (peut-être sous l'influence de jeux analogues aux échecs, mais on n'en sait trop rien) ; évidemment, cela n'a guère aidé au développement de la théorie des ouvertures...

Il est fort possible que cette ancienne disposition initiale explique le marquage des hoshis (les "étoiles"), ainsi que la coutume de poser le handicap à des endroits fixés, ce qui peut sembler injuste (et facilitant le travail du Blanc) mais permet du moins une pédagogie uniforme. Nous ne débattrons pas dans ce document des questions liées au handicap, comme le calcul de sa valeur réelle, l'art de rendre équitables les parties et les tournois l'utilisant, ou le problème de l'écart entre règle japonaise et règle chinoise dans ce cas. En revanche, on peut considérer que se mettre d'accord sur la valeur du komi fait aussi partie des préliminaires indispensables, et nous en discuterons plus bas.

  

Règles décrivant la marche de la partie.

Si le jeu découlait vraiment de l'idée de contrôle d'un espace quadrillé, la question de savoir quoi faire des envahisseurs aboutirait sans doute à définir une règle de capture. Il est peu probable que les choses se soient déroulées dans cet ordre, et les règles modernes dérivent sans doute au contraire d’une forme très primitive (genre « jeu de la première capture », ou « règle strasbourgeoise »), qui a été affinée par l’expérience des joueurs (il est rapidement clair, par exemple, qu’on doit faire quelque chose en cas de ko, si on veut que la partie finisse un jour ). On trouvera d’intéressantes idées à ce sujet dans « Mathematical Go Endgames », ou sur le Web, par exemple dans cet article de « Sensei Library ».

Quoi qu’il en soit, la façon de jouer (les pierres sont posées une à une, ne se déplacent plus, etc.) a sans doute dû être fixée uniformément très tôt, et il est relativement simple de formaliser complètement la règle correspondant à ce qui se passe pendant une partie (quoique, même à ce sujet, on découvre d’intéressantes « aberrations », par exemple une curieuse « interdiction de rejouer immédiatement sous les pierres » dans la règle tibétaine; au point où nous en sommes, voici une liste « complète » de tout ce qu’on peut s’abstenir de faire avec un goban ; vous trouverez là d’intéressantes variantes (analogues aux échecs féeriques), telles que le go fantôme, ou le go aléatoire …).

Outre la définition rigoureuse de la règle de capture, le principal problème délicat est celui des répétitions, avec les deux options possibles : A) la règle japonaise (et coréenne), pour laquelle seuls les cycles de 2 coups (les kos) sont interdits, et tout le reste (triple ko, chosei, etc..) annule la partie (« mushobu », il faut la rejouer) ; B) la règle chinoise (et donc aussi américaine, française…), où toute répétition est interdite (avec de petites nuances sans grande importance, quoique…) : on parle de règle de « superko ».

On interdit en général aussi les suicides (les coups laissant une chaîne sans libertés), mais la règle néo-zélandaise (dont la rédaction « formalisée » est donnée dans l’appendice final) les autorise ; cela n’a, là encore, que très peu d’importance pratique, car il ne faut pas oublier qu’après un suicide, ce serait à l’autre joueur de jouer (on pourra toutefois admirer quelques positions bizarres où cette règle modifie le statut de groupes, composées par un problémiste hollandais).

Enfin, il faut savoir quand la partie se termine. Une obligation de jouer ("no-pass go"), analogue à celle des échecs, donnerait un jeu en fait très différent ; la logique du Go (voir ci-dessous) veut au contraire qu'on ne soit jamais obligé à un coup nuisible, et l'arrêt de la partie se produit donc après un certain nombre de « passes » consécutifs (deux en général, mais les problèmes liés aux kos peuvent amener à en demander trois, voire quatre). Voilà ; il ne reste plus qu’à savoir qui a gagné ; les vraies difficultés commencent.

Compter la position finale : les principes

Pour comprendre les analyses qui vont suivre, il faut savoir, comme on l’a dit, que la règle « historique » du go (développée en Chine, puis au Japon) n’est qu’une codification du bon sens des joueurs  (d’ailleurs, pendant très longtemps, il n’y a pas eu de règle écrite, et en cas de litige, on demandait tout simplement l’avis d’un fort joueur). Même si l’on part du jeu de la première capture, il devient vite clair pour des joueurs astucieux qu’une bonne stratégie consiste à faire de grands territoires, où l’on pourra longtemps poser des pierres sans risquer de se les faire prendre.

On peut penser que l’objectif du jeu va donc se déplacer vers une des versions « modernes » que nous connaissons ; le point de départ chinois (pour autant qu’on le sache) repose ainsi sur la notion d’espace occupé ou contrôlé (les anglais parlent de « area counting »). À partir de ce moment, il devient important de construire la règle de telle sorte que les territoires (au sens « naïf ») rapportent bien le nombre de points qu'on peut en espérer à première vue.

C'est pourquoi la « logique » du jeu a partout amené naturellement les joueurs à découvrir le principe essentiel qui veut qu’une fois un territoire noir (mettons) constitué, il faut que sa valeur soit inchangée ou diminuée si Noir joue à l’intérieur, et augmentée (ou du moins inchangée) si Blanc y joue. Tout argument du type « je pose une pierre, il te faut 4 coups pour la prendre, donc je gagne 3 points » devant être éliminé pour respecter cette intuition fondamentale, on aboutit soit, dans la version chinoise, à la solution facile consistant à compter ces 4 coups (pierres posées sur le goban), soit, dans la version japonaise, à l’idée consistant à compter un prisonnier en plus (pierre morte), en créant la règle bien connue qui s’énonce « une fois la partie terminée, on enlève les pierres mortes sans rajouter de coups ».  Une conséquence de ce principe est que jouer dans le territoire de l’adversaire devient un mauvais coup (sinon, c'est que, justement, ce n'était pas vraiment son territoire), et cela est tout aussi vrai dans les versions chinoises que japonaise.

Il n’est pas si évident, dans la version chinoise, que jouer dans son propre territoire soit aussi un mauvais coup. Mais, même sans y réfléchir beaucoup, on voit que cela rapporte encore moins (si l’on peut dire ) que de jouer un dame, puisque les pierres posées comptent, mais aussi les espaces vides. Il reste vrai que, pour ce type de règles,  rajouter des coups dans son territoire ne pénalise pas, si on le fait suffisamment tard (après les derniers dames) ; l’erreur de raisonnement courante consistant à penser que cela favorise les joueurs trop prudents, qui ne sont plus alors punis pour avoir défendu inutilement (je laisse le lecteur chercher en quoi cela est une erreur ; la réponse est donnée ), est peut-être un des facteurs qui a poussé à l’invention de la règle japonaise, conforme à la pratique et à l’esthétique développée par les professionnels, pour lesquelles on essaie au contraire de jouer effectivement (avant de compter) le moins de coups inutiles possibles.

 

Les problèmes de la règle japonaise : qu’est-ce qu’un groupe mort ?

C’est à partir de là que les ennuis commencent : une procédure devient nécessaire pour savoir quelles pierres sont mortes. Bien entendu, cette procédure ne doit rien coûter (sinon, on en reviendrait à la difficulté précédente) ; dans des versions où la preuve se ferait en capturant effectivement les pierres (ce qui fut par exemple le cas de ma première rédaction de la règle française, en 1972, que l’on trouvera dans « Le jeu à 9 pierres »), on comptera en revenant à la position avant la dispute (ce qui laisse en suspens les problèmes variés soulevés plus bas, et dont j’étais bien inconscient à l’époque )

Historiquement, la « mentalité japonaise » (et peut-être leur conception du droit) les a amenés à régler ce genre de question, non par une procédure pratique, ni par une règle théorique générale, mais au cas par cas. En effet, une définition rigoureuse est extrêmement difficile à formuler (voir à ce sujet la règle dite « J89 » et sa version améliorée (en 1997) et formalisée par Robert Jasiek), et de plus, les différentes décisions déjà prises faisant jurisprudence, des arguments « de bon sens » ne permettent pas forcément d’obtenir le résultat sur lequel les professionnels japonais se sont déjà accordés. Trois exemples pour montrer au lecteur à quel point tout cela ne va pas de soi.

Le problème le plus connu est sans doute celui correspondant à l’expression « 4 courbés dans le coin » (Figure 1). Noir ne peut plus rien faire. Blanc attend la fin de la partie, puis sacrifie 4 pierres, rejoue (en 1-2) pour déclencher un ko favorable (c’est-à-dire que c’est à Noir de trouver la première menace), et Blanc gagne ce ko, la partie étant finie (et donc les menaces de ko inexistantes).

Ce « raisonnement », bien évidemment, souffre de deux failles. La première est que Blanc doit payer pour éliminer les menaces de Noir. Cet argument-là est aisément réfutable : en règle française, cela ne lui coûte rien (il joue dans son territoire, par exemple, mais ne le diminue pas pour autant) ; en règle japonaise, ce sont des coups « virtuels » servant à prouver que le groupe est mort. Mais l’autre faille est de taille : il peut exister des menaces de ko non éliminables (dans la figure 1a, Noir peut sacrifier 4 pierres (obtenant 2 menaces de ko)). Là, la règle japonaise (donnant quand même le groupe à Blanc) semble fondamentalement « injuste ». De plus, sa formulation rigoureuse n’a rien de simple : 1) que se passe-t-il si la menace de ko est liée au combat dans le coin ? 2) qu’est-ce exactement qu’un « 4 courbés dans le coin » (la version japonaise consistait (avant J89) à donner une liste des trois formes possibles, ce qui, bien entendu, a suscité un douloureux débat quand on a trouvé (vers 1960, et en tournoi !) une nouvelle position litigieuse du même type )

 Figure 1 : « 4 courbés dans le coin »

 

 Figure 1a :  Le même, avec une menace de ko indestructible : en règle japonaise, Blanc gagnerait de 7 points ; en règle française, il peut : a) laisser en l’état et perdre de 9 points b) déclencher le ko, ne pas répondre à la menace, et perdre de 8 points c) répondre à la menace ; Noir recapture, comme Blanc n'a plus de menaces, Noir termine le ko et gagne à nouveau de 9 points...(la vérification de ces calculs est laissée au lecteur, qui remarquera que dans la position initiale, le Blanc et le Noir ont joué le même nombre de coups )

L’analyse soignée du combat de la figure 2 (laissée au lecteur ) montre que Blanc ne peut rien faire (s’il joue un coup, il perd ses deux groupes), que Noir peut capturer le groupe qu’il veut, mais que cela fait vivre l’autre. L’argument selon lequel « les deux groupes blancs sont morts » (au sens où chacun des deux est capturable contre toute défense, même si Blanc commençe) est indiscutable ; pourtant, ici, la jurisprudence japonaise (et, bien sûr, la conséquence rigoureuse de la règle française) est « Noir doit jouer (et capturer le groupe du haut, s’il n’est pas idiot) » ; cela semble nettement plus raisonnable .

 

.  Figure 2 : « 2 morts, un seul prenable »

 

 

Figure 3,  en revanche,  les deux groupes sont capturables, mais, dans les deux cas, on peut rejouer « sous les pierres ». Le problème vient de ce que si Noir commence, Blanc marque 3 points (en négligeant le ko, mais le peut-on ?) ; si Blanc joue le premier, puis trouve le tesuji de sacrifice de trois pierres, Blanc marque 2 points (et s’il rate le tesuji, il n’en marque qu’un !). Bref, chacun des deux préférerait que l’autre commence (comme pour un seki), mais bien sûr, si personne ne joue, Blanc ne marque rien, ce qui est pire encore pour lui que s’il commençait. C’est un exercice amusant de montrer qu’en règle française (et en ne ratant pas le tesuji), Blanc marque effectivement les 3 points que (pour de toutes autres raisons) la règle japonaise lui attribue.

 

 Figure3 : « 3 points sans jouer »

 

Le lecteur pas encore complètement écœuré trouvera sur le site de Robert Jasiek déjà mentionné une liste complète de ces positions exceptionnelles (pour autant qu’on le sache : André Moussa et moi avons découvert dans les années 80 une situation complexe de seki que les pros n'avaient pas envisagé ; vous la trouverez dans mon bestiaire), ainsi qu’une explication de la façon dont les règles formelles récentes (J89 et J97) les traitent. D'autres analyses analogues (ainsi que celles de positions litigieuses en règles Ing) se trouvent sur le site de Matti Siivola.

Problèmes chinois

À ce stade, le lecteur (de bonne foi) devrait commencer à trouver une certaine supériorité à la règle française dans les cas litigieux. Pour être tout à fait honnête, il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas forcément parfaite. Le problème vient en partie de ce qu’on peut avoir deux attitudes opposées sur ce que devrait normalement être le résultat d'une règle satisfaisante  : la position « intuitive » japonaise, qui dit par exemple qu’un groupe blanc complètement mort (encerclé par un groupe noir  vivant, et n’ayant plus que des faux yeux) ne doit jamais pouvoir vivre (et qui estime que toute règle disant autre chose est mauvaise et doit être amendée), et la position « pragmatique » chinoise, qui, sous sa forme la plus radicale, dit que si Blanc parvient à empêcher la capture, il a bien mérité sa survie. Voici un exemple spectaculaire de ce que je veux dire : la « vie au clair de lune ». Le groupe du coin nord-ouest n’est pas capturable, car Blanc a une infinité de menaces de ko indestructibles (en jouant le double ko à l'est).

La plupart des joueurs estiment que « c’est de la triche », et préféreraient nettement que la règle interdise à Blanc de s’en tirer. De fait, expérimentant, on découvre que la règle du « superko » permet à la morale d’être sauve : si Blanc essaie de jouer le ko, il perd en fait tous ses groupes (essayez !). Mais on a eu chaud

 

De même, il  a été possible en règle française, à la stupeur de tous les joueurs forts, de construire quelques positions où l’on peut capturer un groupe qui serait normalement imprenable, ainsi, dans la situation suivante …

Blanc, en utilisant habilement la règle du « superko » (qui là, au contraire, est la cause du problème), peut tuer le groupe noir du coin nord-ouest !! (ce n’est pas très difficile, mais peu évident ; je vous laisse chercher la façon diabolique dont Blanc doit exécuter sa menace de ko en plein milieu de la séquence, et alors qu’il n’y a pas de ko, pour obliger Noir à passer, puis à ne plus pouvoir sauver son groupe à cause d’une répétition interdite).

Enfin, T. Mark Hall (un 4d britannique) a rencontré il y a quelques années (en tournoi) une position parfaitement plausible (le « ko gluant », ou « escarko ») où l’application « à la lettre » de la règle chinoise aboutit à un phénomène littéralement monstrueux. J’ai découvert récemment qu'une formulation à peine modifiée de la règle du superko permettait d’éliminer la plupart de ces difficultés, mais rien ne garantit qu’il ne pourra plus en apparaître d’autres .

Cela dit, toutes ces situations sont quand même vraiment exceptionnelles, et utiliser ces positions comme argument n’est évidemment pas très sérieux. Alors, pourquoi donc tant de résistances à la règle chinoise ?

Méthodes de décompte

Le problème vient de ce que la majorité des « vieux »  joueurs a été formée « à la japonaise », et que la méthode de compte des chinois leur est étrangère (dans ce genre de discussion, il est important de ne pas confondre le score (c’est-à-dire le nombre de points dans les territoires, etc.) avec la procédure pratique de décompte (avec réarrangement des frontières, pose des prisonniers dans les territoires adverses, etc.) : la procédure chinoise utilise des réarrangements bien plus spectaculaires, et termine en comptant les pierres par paquets de 10 . Soit dit en passant, si on dispose de 180 pierres noires et de 180 blanches (et donc de bols mesureurs pour être sûr d’en avoir le bon nombre), la procédure de décompte de Ing est la plus rapide et la plus sûre de toutes (à peu de chose près, elle consiste tout simplement à poser dans son territoire toutes les pierres encore dans le bol : celui qui y parvient a gagné).

Donc, on veut avoir le score chinois (pour respecter la règle française), mais un décompte « japonais », pour ne pas perturber les habitudes des joueurs (de fait, il est plus facile, pendant la partie, de compter les prisonniers que les pierres sur le terrain, même si cela revient au même à la fin). Du coup, il s’avère qu’une correction doit être établie : imaginons en effet par exemple un goban (19x19) entièrement rempli, sauf un territoire noir de 8 points, et un territoire blanc de 2 points. Aucun prisonnier n’a été fait, et personne n’a passé durant la partie. Compte japonais : 6-komi pour Noir (soit un demi-point avec le komi le plus fréquent). 351 coups ont été joués (361-10) ; comme Noir a joué le premier, il y a 176 pierres noires et 175 blanches ; le compte chinois est donc 7-komi  et Noir a joué la dernière pierre. Il faut donc que Blanc soit pénalisé d’un point dans ce cas pour obtenir, en comptant à la japonaise, le score chinois (donc français). Il est facile de se convaincre que des prisonniers éventuels ne changeraient rien à la question.

Le Blanc a-t-il raison de se plaindre ?

À ce stade, on peut penser qu’il y a là une injustice évidente pour Blanc, et en particulier qu’il doit perdre une fois sur deux une partie qu’il aurait gagnée (d’un demi point) en règle japonaise. Il n’en est rien, mais il faut un peu plus de réflexion (et de calculs) pour s’en convaincre. Il n'est sans doute pas nécessaire d'ouvrir la fenêtre contenant l'analyse rigoureuse de cette question, mais cela rassurera définitivement (espérons-le) les lecteurs à l’esprit algébrique.

Tous ces calculs montrent bien que (sous les hypothèses faites), le Blanc ne peut pas perdre « à cause de la règle française ». Par ailleurs, un argument plus simple montre que le score chinois d'une partie sans komi (et sans seki) est nécessairement impair : toutes les intersections appartiennent alors à l'un des deux joueurs, donc la somme des scores (361) est impaire, et donc la différence des scores l'est nécessairement aussi : le score d'une partie "ordinaire" varie donc de deux points en deux points, ce qui pourrait amener à penser que finalement, se battre pour le dernier point n'a guère de sens...

Mais bien entendu, le lecteur aura déjà deviné que ces analyses ont elles-mêmes leurs failles D’abord, il faut que le goban soit « impair » (9x9,13x13, etc…) ; c’est toujours le cas en pratique. Ensuite, elles ne s’appliquent pas au jeu à handicap (impair), mais ce n’est pas un inconvénient pratique (quoi que...) car de toute façon il est bien moins complètement codifié que le jeu à égalité. Il faut également que le komi soit impair (5,5 ou 7,5). C’est bien le cas en ce moment, mais on ne sait jamais…(voir à ce sujet le paragraphe suivant). Enfin, et surtout, il faut qu’il n’y ait pas de dames (ou qu’il y en ait un nombre pair). Mais le seul cas où cela ne se produirait pas est celui de sekis (entre groupes n’ayant qu’un œil). La combinaison de ce cas déjà assez rare, et de parties à 0.5 points près semble assez exceptionnelle, sans doute au moins autant que les deux autres différences majeures entre les deux règles, par lesquelles nous allons conclure cette partie de la discussion.

D’abord, la règle chinoise n’interdit pas de marquer des points dans les sekis. (ce qui n’est pas si facile : le cas le plus simple est celui-ci :

   

les points a et b seraient neutres en règle japonaise ; ils rapportent 2 points à Blanc chez nous).  On remarquera qu’ici encore, la règle japonaise est plus « logique », si l’on veut (Blanc n’a obtenu le point a que de justesse ), mais beaucoup moins pratique à formaliser : qu’est-ce qu’un seki, au juste ?

L’autre différence est liée à des dames jouables par un seul joueur. Son adversaire doit donc passer pendant ce temps (et payer évidemment la pénalité habituelle si l’on compte « à la japonaise »). On connaît  plusieurs  situations de ce type (qui sont, au demeurant, parfois difficile à jouer de manière optimale quand on n’y a pas réfléchi à l’avance) : cela peut par exemple se produire pour un ko « d’un demi-point » en fin de partie, quand on a beaucoup plus de menaces que l’adversaire : on peut alors le laisser ouvert, puis le combler, pendant que l’autre ne peut plus que passer (ou jouer dans son terrain, ce qui revient au même).

Des « dames unilatéraux » peuvent aussi apparaître dans certains sekis par forme. Ainsi, dans le cas de la figure ci-contre, Blanc peut jouer en fin de partie les coups 2 et 4 sans détruire le seki, alors que Noir ne peut plus jouer du tout, car s'il joue en 2, par exemple, Blanc répond en 4 et le groupe noir est mort (« forme en 5 »). Les règles de type chinois vont donc attribuer deux points supplémentaires à Blanc, et la technique de décompte français (dite « méthode de décompte rapide ») obtient ce résultat en obligeant Noir à payer une ou deux pierres de passe (selon que Noir a pu combler ou non le dernier dame extérieur). Et c'est finalement ce cas qui oblige à la rédaction précise suivante de la pénalité de passe (d'ailleurs mal expliquée dans la version officielle) : La partie doit se terminer par un échange de passes consécutifs de la forme [Noir passe, Blanc passe]; tout autre échange comporte une pénalité d'un point pour le joueur qui passe, y compris l'échange final le plus fréquent: [Noir joue, Blanc passe] (qui devrait, en toute rigueur, être donc complété par [Noir passe, Blanc passe], ce dernier échange seul n'étant pas pénalisé)

Le choix du komi.

 

En fait, une autre question « philosophique » n’a pas encore été abordée : qu’est censé « prouver » le fait de gagner une partie de Go ? On peut toujours dire que seul compte le plaisir d’avoir bien joué (ou du moins mieux que l’autre). Mais s’il s’agit de démontrer une maîtrise supérieure à celle de l’adversaire, il est clair qu’il faut que les chances initiales soient égales, or le jeu est manifestement biaisé en faveur du Noir (au pire, si, quel que soit l’endroit où Noir commence, cela lui faisait perdre la partie (ce qui semble plutôt invraisemblable), il lui suffirait de passer pour arracher au moins la nullité). Deux solutions sont alors possibles : jouer une succession de parties en alternant les couleurs, ou compenser d’une manière ou d’une autre l’avantage initial. Comme la première solution présente des difficultés pratiques, les joueurs japonais ont fini, non sans réticences, par adopter (vers 1920, mais des tentatives analogues avaient eu lieu dès le 19ème siècle) la notion de komi (« compensation »), c’est-à-dire le fait de donner à Blanc un certain nombre de points supplémentaires en compensation du désavantage de jouer en second.

Malheureusement, le choix du « bon » komi reste délicat. La plupart des associations nationales (imitant en cela la Nihon-Kiin, du temps où elle était toute-puissante) ont adopté l’option d’un komi fixé, valable pour toutes les parties officielles, et qui fut longtemps de 5,5 points (à partir des années 60 ; le choix d'un komi non entier étant bien sûr fait pour éliminer les parties nulles). On a vu plus haut que cette valeur était compatible avec la « correction » prévue dans la règle française. Mais des changements sont toujours possibles, et de fait, le nouveau komi japonais (décidé au printemps 2002, et valant 6,5 points) ne donnera plus nécessairement le même vainqueur en règle française et en règle japonaise.

De toute façon, il est clair que ces komis changeant au gré des modes ne sont guère rassurants en tant que garantie d’une soi-disant équitabilité. Dans les années 70, plusieurs joueurs (dont votre serviteur) ont proposé des procédures de choix de komi s’inspirant du problème du partage équitable d’un gâteau (l’un des deux coupe, et l’autre choisit sa part), et qu’on désigne sous le nom générique de « komi aux enchères » (« bidding for komi »). Ma meilleure proposition, obtenue par essais et erreurs, et à la suite de discussions sur rec.games.go, a reçu le nom de "système du komi déclaré"; la voici :

 

1)      Chaque joueur dépose un nombre (entier ou demi-entier) qu’on appellera son « komi préféré » (kp), de manière publique  (par exemple au moment de son inscription à un tournoi, ou en prenant sa license, etc.)

2)      Pour toute partie officielle jouée à égalité (dans un tournoi où cette méthode est appliquée, évidemment), le « komi  réel » (kr) est la moyenne des deux « komis préférés » des deux adversaires.

3)      Le joueur ayant le plus grand « komi préféré » commence (et joue avec les noirs). En cas d’égalité des kp, on tire au sort…

 

Commentaires :

 

1)      Dans ce système, supposons que A ait déclaré un kp de 8, et B un kp de 4. Cela veut dire qu’ils estiment le jeu équitable avec ces komis respectifs. Or la procédure donne un komi réel de 6, et A commence. A est donc satisfait, car il n’a à payer que 6 points pour pouvoir commencer, alors qu’il pensait que ce privilège valait 8 points ; B est également satisfait, car il reçoit 6 points de compensation, alors qu’il pensait n’en recevoir que 4.

2)      On a reproché à des systèmes analogues d’introduire une dimension psychologique (une sorte de jeu de poker) dans la phase d’enchères : supposons que A sache que C déteste jouer avec Blanc, et est prêt à proposer 12 comme kp pour être sûr d’avoir Noir. A n’a alors qu’à proposer 11,5 pour avoir Blanc et 11,75 points de komi, alors qu’il ne pouvait espérer mieux que 8 si C avait connu le kp de A à l’avance. C’est tout l’intérêt du point 1) : aucune manipulation de ce genre n’est vraiment possible, puisque chaque joueur doit déclarer son kp avant de connaître ses adversaires (voire pour toute une période de temps fixée).

3)      Évidemment, si kr est entier, on se retrouve avec le problème des parties nulles (« jigos »). Mais est-ce vraiment un si grand inconvénient en pratique?

4)      Des essais aux tournois de Montpellier 2003 et 2004 ont cependant fait apparaître un effet pervers collectif : la majorité des joueurs n'ayant pas adopté le système (par incompréhension?), il devenait possible de jouer systématiquement avec les noirs et toujours un komi de 5,5 pts, en ne déclarant qu'un kp de 6. Il a donc été décidé, pour le tournoi de 2005, de prendre une valeur de komi par défaut de 7,5 pts, et je me sentirai sans doute obligé en 2006 de la monter encore, pour que les joueurs finissent par adopter mon système (ou peut-être par boycotter mon tournoi ...)

 

Appendice : la règle néo-zélandaise, une règle complète, rigoureuse et concise.

Pour conclure cet article, voici une traduction des règles néo-zélandaises (avec l’aimable autorisation de leur auteur, John Tromp). Leur rédaction sous cette forme est extraordinairement compacte et rigoureuse, mais ne sera  peut-être satisfaisante que pour des mathématiciens et autres créatures bizarres (en d’autres termes, elle nécessite au moins les commentaires (de Bill Taylor) qui la suivent …) Cette règle est essentiellement équivalente à la nôtre ; le lecteur pourra s’amuser à déterminer quelles sont exactement les différences entre les deux

 

Les règles

  1. Le Go se joue sur une grille (carrée) de 19x19 intersections, par deux joueurs appelés Noir et Blanc.
  2. Chaque intersection de la grille peut être colorée « noir », « blanc » ou « vide ».
  3. Une intersection P, non colorée C, est dite atteindre  C, s’il existe un chemin d’intersections adjacentes (verticalement ou horizontalement), de la couleur de P, allant de P à une intersection de couleur C.
  4. Vider une couleur consiste à marquer comme « vides » les intersections de cette couleur qui n’atteignent pas « vide ».
  5. Partant d’une grille entièrement « vide », les joueurs jouent alternativement chacun à leur tour, Noir commençant.
  6. Un tour est soit un « passe », soit un coup qui ne répète pas une coloration  précédente de la grille.
  7. Un coup consiste à colorier une intersection « vide » avec sa propre couleur, puis à vider la couleur de l’adversaire, et enfin à vider sa propre couleur.
  8. La partie s’arrête après deux « passes » consécutifs.
  9. Le score d’un joueur est le nombre d’intersections de sa couleur, plus le nombre d’intersections vides qui atteignent seulement sa couleur.
  10. Le joueur ayant le score le plus élevé à la fin de la partie est le vainqueur (en cas d’égalité, la partie est nulle).

Commentaires

  1. La grille est généralement matérialisée par 19x19 lignes sur une planche de bois, appelée goban. Chaque joueur a une quantité illimitée de pierres de sa  couleur. Les deux joueurs peuvent éventuellement décider d’utiliser un rectangle de dimensions différentes.
  2. Colorier une intersection en « noir » ou en « blanc »signifie qu’on place une pierre de sa couleur sur cette intersection.. “Vider” une intersection signifie en enlever la pierre qui y est posée.
  3. Des pierres connectées de la même  couleur, parfois appelées chaînes, atteignent toutes les même couleurs. Atteindre le « vide » signifie avoir des intersections vides adjacentes à la chaîne, qu’on appelle parfois des libertés.
  4. Des chaînes sans libertés ne peuvent subsister sur le goban et doivent être capturées.
  5. En cas de handicap, le joueur le plus faible, ayant les noirs, peut recevoir un “handicap de n pierres », cela consiste à jouer n coups consécutifs avant le premier coup des blancs
  6. Ceci est la règle du « superko positionnel » ; elle ne tient pas compte du joueur ayant le trait.
  7. Pour un coup donné, seul un des deux processus de vidage au plus peut avoir lieu ; le premier s’appelle une capture, le second un suicide.
  8. En tant que raccourci commode, on pourra appliquer la règle de « capture des pierres mortes » : après deux passes consécutifs, les joueurs peuvent se mettre d’accord sur les intersections à « vider ». S’ils n’y parviennent pas, la partie est comptée telle quelle après quatre passes consécutifs.
  9. On dit qu’il s’agit de score « par surface occupée » (« area scoring »). Comme le nombre de tours joués par un joueur  est égal au nombre de passes plus celui des pierres qu’on lui a capturées plus les pierres encore sur le jeu, un résultat presque équivalent est obtenu par le score « territorial » (« à la japonaise »)  où, aux espaces libres entourés, on adjoint les pierres ennemies capturées au lieu des pierres amies non capturées.
  10. Par accord préalable, pour des parties entre adversaires de force égales, une quantité fixée de points peut être ajoutée au score final du blanc. Cela s’appelle le « komi », et l’on peut choisir une valeur non entière telle que 5,5 points pour éviter les parties nulles.

 

Solutions

Si le joueur n’attend pas que tous les dames soient remplis, il perd un point (quand ce n’est pas plus ) en jouant  dans son territoire, car son score ne change pas, alors que son adversaire peut marquer au moins un point en occupant un dame, justement. D’autre part, si un danger devait se matérialiser quand les dames seront remplis, rajouter le coup nécessaire fera perdre un point (le dame ainsi donné à l’adversaire), il n’y a donc rien de changé au score (sauf peut-être s’il s’agit du dernier dame, ce qui sera examiné plus loin).

Blanc capture 4 pierres (en jouant a1, mettons), Noir recoupe en b2,  Blanc joue a2, sacrifiant les 3 pierres a2-a1-b1, Noir les capture en a3, Blanc fait atari en b3 et Noir reperd la pierre a3.

Blanc fait atari au groupe nord-ouest en jouant en a3, Noir joue (et capture) en a1, Blanc joue la menace de ko en j6, Noir répond en j5 (position notée *), Blanc capture en a2, Noir doit passer, Blanc joue en a3 et Noir n'a pas le droit de capturer (en a1), car on se retrouverait dans la position * !