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Textes personnels

 

Les quelques fragments figurant sur cette page ont été réalisés lors d’ateliers d’écriture (en voici d'ailleurs un autre, moins intéressant encore, mais ayant le mérité d'avoir été écrit à l'aide de ma police calligraphique personnelle). Mais j’ai aussi commis des textes plus longs, dont voici le plus prometteur (hélas inachevé…), ainsi qu'une traduction-adaptation d'un tour de force autoréférentiel, dû à Moser

 

 

 

Contrainte : le titre (rédaction : ½ heure)

 

Le matin des livres

 

La bibliothèque s'éclairait des premières lueurs de l'aube. L'homme gémit, et se retourna brusquement, faisant tomber une pile de fiches. Il avait somnolé dans le fauteuil du préposé, mais n'avait pas vraiment pu dormir. La vérité effroyable qu'il avait découverte aurait troublé le sommeil de quelqu'un de bien plus lucide, et l'homme donnait plutôt l'impression d'être sur le point de s'effondrer nerveusement. Derrière lui, les ouvrages qu'il avait consultés hâtivement jonchaient le sol. Certains d'entre eux, poussiéreux ou moisis, laissaient s'échapper des feuilles volantes et des papiers griffonnés, où il avait pu lire l'horreur que les premiers lecteurs avaient ressentie en commençant à soupçonner la véritable nature de l'ennemi. Et encore ignoraient-ils ce que lui avait découvert… D'ailleurs, au réveil, il n'en était plus si sûr. La nuit n'avait-elle pas amplifié sa frayeur? Seul, en tête-à-tête avec ces manuscrits difficilement lisibles, n'avait-il pas exagérément transformé des rumeurs en  certitudes atroces? Hélas, le volumineux in-folio ouvert devant lui ne laissait aucune place au doute, et dans le petit jour, les lettres rouges qu'il aurait voulu fuir gravaient, comme avec le feu, leur message maléfique dans son cerveau. Il répéta, comme sortant du rêve, les mots secrets « Papè Satan Aleppè », et sentit un frémissement parcourir les rayonnages. Les livres l'observaient.

 

 

 

Contrainte : 1) Message à une personne en retard (rédaction : ½ heure)

Chère Eliane,

 La coupe est pleine. La table devant moi déborde de tasses à café vides et de papiers froissés, le garçon sifflote d'un air moqueur en passant derrière ma chaise, et il commence à pleuvoir. Tu devrais savoir, pourtant, à quel point je tenais à ta ponctualité.

Certes, nous ne nous étions pas souvent donné rendez-vous en ville; mais dois-je te rappeler la minutie qui préside à mes déplacements, et l'usage que tu as cru pouvoir persifler du chronomètre qui ne me quitte jamais? Je pensais que tu avais compris que des calculs astrologiques extrêmement précis guident le moindre de mes gestes, et que l'harmonie que j'attends de mon destin passe par un réglage exact de toutes ces rencontres que d'autres prennent pour l'effet du hasard.

Et voilà que par ton insouciance, tu as déréglé de plus de trois quarts d'heure la mécanique rigoureuse de mon avenir. L'image que j'avais cru pouvoir me faire de notre futur couple est déchirée, et qui sait quels nouveaux malheurs vont à présent fondre sur moi dans un calendrier perturbé, que ne balise plus aucun repère temporel fiable?

 

Même le fait de poster cette lettre, à une heure où rien n'aurait pu me faire prévoir un tel déplacement, m'expose à des périls inimaginables. Bien sûr, je n'attends pas que tu comprennes ou que tu compatisses, toi qui a brisé ma vie. Mais je tenais à te faire savoir de quelle manière ta négligence nous avait à jamais séparés.

 

2) Que s’est-il passé ensuite ? (rédaction : ½ heure)

 

 

Elle est arrivé juste quand il se levait. Elle avait couru, était essoufflée, mais en le voyant son visage s'est illuminé.  Elle s'est précipitée vers sa table, mais quelque chose a dû l'alerter, parce qu'elle a semblé hésiter. Il la regardait à présent, d'un air méchant. Elle était toute menue dans ses vêtements de cuir humides, et lui semblait vieilli et cassé‚, et un peu ridicule dans son costume gris sévère, et avec sa grosse montre pendant sur sa poitrine. Ils sont restés là  sans rien dire, et puis elle a rompu le silence, les mots se précipitant: « la panne, le téléphone cassé, la course folle dans les rues, elle avait eu si peur, elle savait qu'il serait en colère, oh elle était si heureuse de l'avoir retrouvé… » Sa voix se brisa. Il s'était détourné sans rien dire. Lui avait tendu une feuille de papier, sans rien dire. Et semblait la mettre au défi de continuer ses phrases. Elle hésita, pris la feuille, commença à lire, encore souriante. Et puis quelque chose se glaça dans son visage. La colère sembla l'envahir d'un coup; elle se redressa et d'un geste vif, elle arracha sa montre et la fracassa sur le sol. Il resta immobile, n'en croyant pas ses yeux; puis s'agenouilla lentement, toucha le verre brisé, et se mit à pleurer, doucement d'abord, puis à gros sanglots qui lui secouaient les épaules. Elle le regardait, fit mine de le toucher, se ravisa, et partit sans un mot.

 

J'ai été obligé, bien plus tard, de lui dire gentiment qu'on allait fermer. Il s'était écroulé sur sa chaise; en m'entendant, il se leva et partit d'un pas de mécanique mal remontée, en direction du fleuve.

 

 

 

Un autre couple de textes. Contrainte : lettre à une relation récemment retrouvée

 

Chère Corinne

 

C'est par le plus grand des hasards que j'ai découvert ton adresse. Que fais-tu donc à Aubusson? Je ne peux croire que la manufacture t'aie attirée, toi qui ne jurais que par l'art contemporain… Nous nous sommes perdus de vue sur un demi-malentendu. Tu allais te marier, enfin je l'ai cru. Devant la ruine de mes espoirs, je n'ai pas cru pouvoir supporter de ne rester que ton ami. Et voilà que je découvre que tu as gardé ton nom de jeune fille. Oserais-je le croire? Quand j'ai cessé ces visites presque quotidiennes que je te faisais rue de Bièvre, j'ai voulu changer complètement de vie. J'ai interrompu mes études, et, malgré la fureur de mes parents, je suis parti en Afrique, sac au dos et sans un sou en poche. Dix longues années d'errance et d'aventures sans lendemain. Peu de joies, beaucoup de fatigues inutiles; des petits boulots, la découverte de gens démunis et plus paumés encore que je ne l'étais. Je suis revenu en France pour trouver ma mère malade, mon père presque gâteux. La famille m'a traité en brebis galeuse. Alors je me suis replié en Ardèche, chez des enseignants que j'avais rencontrés à Libreville. Gentils, mais on ne se comprend guère. Je fais des travaux chez eux, et ils me nourrissent. Et les saisons passent. Et puis le Minitel, à ma grande stupeur, a livré ton adresse. J'ai failli débarquer sans te prévenir. Mais un reste d'angoisse me pousse à t'écrire avant. J'attends ta réponse avec impatience.

 

Marcel

 

Et la réponse :

Mon pauvre Marcel

 

Comment vais-je pouvoir te répondre sans achever de te briser le cœur…? Pourtant, il faut que je commence par te dire, très fermement, que je ne veux pas que tu viennes à Aubusson. J'ai fait ma vie, où tu n'as pas de place. En as-tu d'ailleurs vraiment jamais eu une? Ce n'est pas si simple. J'étais jeune. Je n'aurais pas dû te mentir. Bien sûr, je n'allais pas me marier. Je n'aimais que toi, je ne pensais qu'à toi. Mais déjà, rien n'était possible entre nous. Tu étais si exigeant et si fragile, si bizarre aussi. Tu ne me comprenais pas, tu me blessais souvent sans même t'en rendre compte. Et tu ne pensais qu'à mon corps, alors que je ne voulais partager avec toi que des mots et des images. Si tu avais su patienter, tout aurait peut-être été possible. Mais devant ta violence grossière, j'ai pris peur, et n'ai pu m'en tirer autrement que par cette fable absurde, et que tu as crue si entièrement que je vois bien que tu n'avais rien compris.

 

Ta lettre était déchirante; toute cette vie gâchée. Et montrait une telle avidité, une telle immaturité aussi, que je ne pourrais en aucun cas prendre le risque de tout recommencer. J'ai eu du mal à retrouver mon équilibre, à pouvoir peindre enfin. Mais que je vive seule ou non, cela n'est plus ton affaire.

 

Corinne