Cette
page est encore très incomplète (ça se voit, non?) À bientôt pour en
voir davantage
|
|
|
|
|
|
|
|
.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Textes exemplaires
|
|
|
|
Les textes de cette page ne sont pas
exactement des « citations », mais plutôt des exemples de ce que
je recherche en littérature. En somme, ce sont des lignes (ou des pages) que j’aurais
aimé écrire, si seulement j’en avais eu la force et le talent.
Je les ai regroupés en catégories (assez arbitraires):
Littérature « pure »
Textes de sagesse
Préfaces et dédicaces
Aphorismes et proverbes
Humour
et j'ai rajouté une liste de pointeurs vers des entrées de mon "journal peu intime", faisant référence à d'autres textes (peut-être un peu moins exemplaires, mais intéressants tout de même).
Pour être complet, je dois préciser que malgré leur influence sur mes goûts, je n'ai pas voulu sélectionner des textes "purement littéraires" non français : les nouvelles de Borges, par exemple, sont certainement des textes exemplaires, mais j'hésite à en donner des traductions (même si celles-ci sont souvent remarquables); il en va de même des traductions de Kafka; à l'opposé, je pense pouvoir apprécier raisonnablement des textes littéraires écrits en anglais, mais c'est un parti-pris de ce site de rester francophone autant que possible. Tous les textes que j'aime sont (ou seront) en revanche décrits dans ma "bibliothèque idéale".
|
|
|
|
Marcel
Proust est évidemment l’auteur d’innombrables phrases parfaites, à commencer
par ceci, extrait de la préface qu’il a écrit pour la « Bible
d’Amiens », de John Ruskin, et qui est une bonne description de
mes motifs pour créer ce site : « Quand
on travaille pour plaire aux autres, on peut ne pas réussir, mais les
choses qu’on a faites pour se contenter soi-même ont toujours chance
d’intéresser quelqu’un. Il est impossible qu’il n’existe pas de gens qui
prennent quelque plaisir à ce qui m’en a tant donné. Car personne n’est
original » .
Voici un superbe
exemple autoréférentiel :
la description des phrases musicales de Chopin (dans « Un Amour de
Swann » (Du Côté de chez Swann, p.277 , édition
Bouquins/Laffont))
Elle [Mme de
Cambremer] avait
appris dans sa jeunesse, à caresser les phrases, au long col sinueux et
démesuré, de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par
chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de
leur départ, bien loin du point où on avait pu espérer qu'atteindrait leur
attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour
revenir plus délibérément - d'un retour plus prémédité, avec plus de
précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu'à faire crier - vous
frapper au cœur.
Ses descriptions
« visuelles » sont souvent stupéfiantes de virtuosité, ainsi,
cette description inattendue du corps nu d’Albertine (La Prisonnière,
p.75):
Ses deux petits seins haut remontés étaient si ronds
qu’ils avaient moins l’air de faire partie intégrante de son corps que d’y
avoir mûri comme deux fruits, et son ventre (dissimulant la place qui chez
l'homme s'enlaidit comme du crampon resté fiché dans une statue descellée)
se refermait à la jonction des cuisses, par deux valves d'une courbe aussi
assoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle de l'horizon quand le
soleil a disparu.
Et, par association d’idées,
un coucher de soleil sur la mer (À l’ombre des jeunes filles en
fleurs, p.656)
Quelques semaines plus tard, quand je remontais, le soleil
était déjà couché. […] Une bande de ciel rouge au-dessus de la mer,
compacte et coupante comme de la gelée de viande, puis bientôt sur la mer
déjà froide et bleue comme le poisson appelé mulet, le ciel du même rose
qu’un de ces saumons que nous nous ferions servir tout à l’heure à
Rivebelle ravivaient le plaisir que j’allais avoir à me mettre en habit
pour partir dîner. Sur la mer, tout près du rivage, essayaient de s’élever,
les unes par-dessus les autres, à étages de plus en plus larges, des
vapeurs d’un noir de suie mais aussi d’un poli, d’une consistance d’agate,
d’une pesanteur visible, si bien que les plus élevées penchant au-dessus de
la tige déformée et jusqu’en dehors du centre de gravité de celles qui les
avaient soutenues jusqu’ici, semblaient sur le point d’entraîner cet
échafaudage déjà à demi–hauteur du ciel et de le précipiter dans la mer.
Cette virtuosité n’est, cela dit, que le costume
habillant les plus profondes analyses psychologiques et sociologiques
jamais faites, et ses descriptions des sentiments intenses (la jalousie, le
deuil, la passion amoureuse…) sont, elles aussi, exemplaires.
|
|
Le texte suivant (Le Coté de
Guermantes, p.269) est, au contraire, un extraordinaire exemple de
retenue : la grand’mère du narrateur (qu’il adore, et qui est, avec sa
mère, la seule figure pure du livre) vient d’être victime d’une attaque
cérébrale. Il l’amène chez le célèbre professeur E…, lequel est en train de
s’habiller pour dîner. Celui-ci l’observe soigneusement, plaisante avec
elle, (Il lui adressa même
quelques plaisanteries assez fines, que j’eusse préféré entendre un autre
jour, mais qui me rassurèrent complètement par le ton amusé du docteur) et
les congédie.
Je laissai
ma grand’mère passer devant, refermai la porte, et demandai la vérité au
savant.
-- Votre grand’mère est perdue, me dit-il. C’est une
attaque provoquée par l’urémie.[…] Le cas me paraît désespéré. […] Excusez
moi, me dit-il en voyant entrer une femme de chambre qui portait sous son
bras l’habit noir du professeur. Vous savez que je dîne chez le Ministre du
Commerce, j’ai une visite à faire avant. Ah, la vie n’est pas toujours rose,
comme on le croit à votre âge.
Et il me tendit gracieusement la main. J’avais refermé la
porte […] quand nous entendîmes de grands cris de colère. La femme de
chambre avait oublié de percer la boutonnière pour les décorations.[…] Le
professeur tempêtait toujours tandis que je regardais sur le palier
ma grand’mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule.
*************************************************************************
Très similaire, ce passage clôt La cérémonie
des adieux, livre où Simone de Beauvoir raconte les dix dernières
années de sa vie commune avec Sartre (faut-il rappeler qu’ils étaient tous
deux athées militants ?). Elle conclut par la description des
dernières semaines à l’hôpital, et de l’enterrement. Puis se demande si elle
n’aurait pas dû prévenir Sartre de l’imminence de sa mort (sachant qu’il
avait toujours dit vouloir être prévenu en cas de cancer ou autre maladie
incurable). Mais, dit-elle,
La menace
qui pesait sur lui, s’il l’avait plus précisément connue, n’aurait fait
qu’assombrir inutilement ses dernières années. De toute façon, je voguais
comme lui entre la crainte et l’espoir. Mon silence ne nous a pas séparés.
Sa mort nous sépare. La mienne ne nous réunira pas. C’est
ainsi. Il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s’accorder.
*************************************************************************
Enfin, la disparition de sa mère est évoquée par Marcel Pagnol, dans Le Château de ma mère, de la manière suivante :
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.
Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants. *************************************************************************
Dans un style plus ancien, et pourtant étonnament sobre (Duneton se demandait jadis dans l'Antimanuel de français, où j'ai découvert ce texte, si ce n'était pas cela, la vraie "grandeur antique"), le poète Piron, devenu aveugle, composa ainsi sa dernière épigramme
J'achève ici-bas ma route.
C'était un vrai casse-cou
J'y vis clair, je n'y vis goutte ;
J'y fus sage, j'y fus fou.
Pas à pas j'arrive au trou
Que n'échappent fou ni sage,
Pour aller je ne sais où.
Adieu, Piron, bon voyage! *************************************************************************
Comme je l'ai dit dans l'introduction, je préfère ne pas donner de références non francophones. Mais les sagas islandaises forment un impressionnant ensemble de textes présentant le même caractère d'extrême sobriété (litote, ou, en anglais, understatement), et ce qui suit, ma version de la fin de la saga de Njall le brûlé, n'est, de toute façon, que le souvenir de la traduction qui figurait dans l'ancienne édition de l'Universalis.
Donc, assiégé par ses ennemis, Njall voit venir sa fin, et, pour comble de malheur, la corde de l'arc avec lequel il se défendait avec une terrible efficacité vient à casser. Il se tourna alors vers sa femme [personnage vindicatif, qui est la cause de tous ses malheurs, et à qui il a jadis donné une gifle] et lui dit : "Coupe une mèche de tes cheveux, et tresse-moi une nouvelle corde". Elle lui répondit : "Est-ce important pour toi ?". "Il y va de ma vie", dit-il, "car ils ne pourront me prendre, tant que je pourrai me servir de mon arc". "Alors", dit-elle, "je vais te rappeler la gifle que tu m'as donnée, et il m'est bien égal que tu te défendes plus ou moins longtemps". "Chacun a sa façon de s'acquérir du renom", dit Njall, "et je ne te le redemanderai pas". Et la mère de Njall dit : "C'est grand dommage, et ta honte vivra longtemps".
J'ai découvert il y a bien longtemps un autre ensemble de textes étonnants, le recueil des 19 poèmes chinois anciens (composés avant l'ère chrétienne) ; voici une traduction du premier, à la stupéfiante conclusion.
Marcher, marcher ; toujours marcher, marcher... Me voici, de vous, séparé vivant.
Entre nous deux plus de dix mille li,
Chacun se trouve à l'un des bords de ciel.
La route est longue, et rude le chemin;
Notre revoir, comment en être sûr ?
Le cheval 'hou' cherche le vent du nord,
L'oiseau de Yue niche aux rameaux du sud.
Plus le temps passe, et plus il nous écarte,
Plus le temps passe, plus lâche est ma ceinture.
Nuages flottants masquent le clair soleil :
Le voyageur n'a cure de rentrer.
L'amour de vous a hâté ma vieillesse,
Des mois, des ans, j'atteins soudain le soir.
Mais laissons ce sujet, n'en parlons plus,
Il faut tâcher de bien s'alimenter.
|
|
|
|
|
|
Ce qui suit est ma réécriture d’un texte
qu’on trouve assez souvent (affreusement mal traduit) proposé par les
papetiers artisanaux (avec des choses comme « Si »,
de Rudyard Kipling (traduit par Eluard))... Je ne connaissais pas à
l’époque l’original
anglais, sinon je m’en serais servi comme base de traduction.
Chemine tranquillement au milieu du vacarme et de la
hâte, et souviens-toi de la paix que l'on peut trouver dans le silence.
Sans t'aliéner, vis autant que possible en bons termes avec toutes sortes
de gens. Énonce doucement et clairement ta vérité, mais écoute les autres,
même le simple d'esprit et l'ignorant: ceux-là aussi ont leur histoire.
Évite les individus bruyants et agressifs, ils troublent
l'âme. Ne te compare à personne; tu risquerais de
te déprécier ou de devenir vaniteux, car il y aura toujours plus grand et
plus petit que toi.
Reste toujours intéressé par ta profession, si
modeste soit-elle; c'est une possession véritable dans les prospérités
changeantes du temps. Sois prudent dans tes affaires, car le monde est
plein de fourberie. Mais ne sois pas aveugle à la vertu qui existe, aux
êtres qui recherchent les grands idéaux ; le monde est aussi rempli d'héroïsme.
Sois authentique. Surtout, ne feins pas
l'amitié. Ne deviens pas non plus cynique en amour, car face à toute
stérilité et à tout désenchantement, il est aussi éternel que le printemps.
Accepte avec bonne humeur l'apport des années,
en sachant renoncer avec grâce à ta jeunesse. Fortifie ta puissance
d'esprit pour te protéger en cas de malheur soudain. Mais ne t'angoisse pas
avec des chimères. De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la
solitude.
Sans négliger une saine discipline, sois doux avec
toi-même. Tu es un enfant de l'univers, au même titre que les arbres et les
étoiles ; tu as le droit d'être ici. Et que cela soit clair ou non pour
toi, le monde déroule sans doute son histoire comme il le faut.
Sois en paix avec Dieu, quelle que soit ta
conception de lui ; et quels que soient tes travaux et tes rêves, garde
dans le désarroi bruyant de la vie la paix de ton âme. Malgré toutes ses
perfidies, ses besognes fastidieuses et ses rêves brisés, le monde est
pourtant beau. Prends bien soin de toi, essaie d'être heureux.
D'après une prière anonyme
du 17ème siècle
trouvée dans une église de
Baltimore
Seulement voilà : ce texte, hélas, n’a
jamais été écrit au 17ème siècle (le texte reste beau, mais
voici (en anglais) la vérité
prosaïque à son sujet). Par association d'idée, cela ne peut que
m’évoquer Pierre
Ménard, et une phrase de Tlön Uqbar
Orbis Tertius (dont on trouvera ici une traduction en anglais , mais vous devriez acheter Fictions (Ficciones) si vous ne parlez aucune de ces deux langues);
passez ici pour lire (en espagnol) la
phrase en question, et la médiocre traduction que j'en ai faite... En los hábitos literarios también es todopoderosa la idea de un sujeto único. Es raro que los libros estén firmados. No existe el concepto del plagio: se ha establecido que todas las obras son obra de un solo autor, que es intemporal y es anónimo. La crítica suele inventar autores: elige dos obras disímiles -el Tao Te King y las 1001 Noches, digamos-, las atribuye a un mismo escritor y luego determina con probidad la psicología de ese interesante homme de lettres...
L'idée du sujet unique domine de même les traditions littéraires. Il est rare que les livres soient signés. Le concept de plagiat n'existe pas ; on a établi que toutes les œuvres sont dues à un seul auteur, qui est anonyme et intemporel. La critique crée souvent des auteurs : elle choisit deux œuvres dissemblables
--- le Tao Te King et les Milles et une nuits, mettons ---, les attribue à un même écrivain, et s'en va déterminer avec impartialité la psychologie de cet intéressant homme de lettres...
X
|
|
Dans ce
genre-là, mais en beaucoup plus court, ceci, de Brigitte Fontaine
(« Chroniques du Bonheur »)
Chaque citrouille peut
devenir carrosse. Chaque citrouille est, était, sera carrosse. Pour qu’une
citrouille soit, devienne, redevienne carrosse, il faut avant tout
l’accepter entièrement en tant que citrouille. « Bonjour, citrouille ! », « Je t’aime,
citrouille ! » sont les mots qui permettent ; et non pas
« Légume en voie de développement, j’aime en toi le carrosse que tu
étais avant qu’un enchanteur (qui ressemble au président) t’ait changée en
citrouille, et que tu redeviendras peut-être, si tu travailles bien ».
Il faut aussi que la citrouille se tienne le même langage ; qu’elle
apprenne à aimer son cœur, même écrabouillé, à y reconnaître la vie, même
bafouée.
|
|
Autre texte « sapiential », lu dans Libération il y a quelques années ; Google n'en savait alors pas plus long, mais, en février 2004, un de mes lecteurs m'a signalé qu'il est dû à René Daumal.
Je suis mort parce que je n'ai pas de désirs.
Je n'ai pas de désirs parce que je crois posséder.
Je crois posséder parce que je n'essaie pas de donner.
En essayant de donner, on se rend compte que l'on n'a rien.
Voyant qu'on n'a rien, on essaie de se donner.
En essayant de se donner, on découvre que l'on n'est rien.
Voyant qu'on n'est rien, on essaie de devenir quelque chose.
Désirant devenir, on vit.
|
|
Khalil Gibran a écrit,
dans « Le Prophète », une grande quantité de textes de ce genre.
Tout n’est pas extraordinaire, mais ce qu’il dit sur les enfants n’est pas
mal …
Vos enfants ne
sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même, ils
viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre
amour mais non point vos pensées, car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes
habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos
rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire
comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos
enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa
puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.
|
|
|
|
On peut
trouver de jolies choses dans les préfaces et autres dédicaces. Ainsi, Zola
se prit, à 48 ans, d'une passion pour Jeanne Rozerot, âgée de 21 ans alors,
qui servira (un peu) de modèle à la Clotilde du Docteur Pascal. Voici la
dédicace qu'il lui écrivit 5 ans plus tard:
« À ma bien-aimée Jeanne, à ma Clotilde
qui m'a donné le royal festin de sa jeunesse et qui m'a rendu mes trente
ans[...], en me faisant le cadeau de ma Denise et de mon Jacques, les
deux chers enfants pour qui j'ai écrit ce livre, afin qu'ils sachent, en le
lisant un jour, combien j'ai adoré leur mère. » Pour plus de détails,
allez voir cette biographie de Zola
Mon
exemple favori reste toutefois la préface des Misérables :
« Tant
qu'il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale
créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant
d'une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois
problèmes du siècle, la dégradation de l'homme par le prolétariat, la
déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit, ne
seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l'asphyxie sociale
sera possible ; en d'autres termes, et à un point de vue plus étendu
encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de
la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »
À présent, un bel exemple
d’honnêteté scientifique. Bertrand Russell découvrit le paradoxe qui
porte son nom et l’envoya dans une lettre à G. Frege juste comme Frege
terminait le second volume de Grundlagen der Arithmetik. Cela
remettait en cause une partie essentielle des bases de ce livre, et Frege
se sentit obligé de publier cette lettre dans la préface, en la faisant précéder d'une note (en allemand) disant :
« Un savant peut difficilement être confronté à
quelque chose de plus indésirable que de voir les fondations de son ouvrage
s’écrouler juste au moment où celui-ci s’achève. J’ai été mis dans cette
situation par une lettre de M. Bertrand Russell, alors que mon travail
allait sortir des presses »
|
|
|
|
Quelques aphorismes et autres proverbes (je les ai
parfois légèrement réécrits) :
Mon Dieu, donne-moi la force pour changer ce qui peut être
changé, le courage pour accepter ce qui ne peut être changé, et la sagesse
pour distinguer l’un de l’autre.
(Tradition judaïque,
mais il semble bien que cela soit dû en fait à Marc-Aurèle)
|
|
|
|
François Cavanna a longtemps écrit régulièrement de délicieux bijoux, publiés sous la rubrique "Le Saviez-Vous?" de Hara-Kiri, et dont le plus connu est certainement la remarque (attribuée également à Woody Allen, mais Cavanna l'a publiée bien avant lui) selon laquelle Beethoven était tellement sourd que, toute sa vie, il a cru qu'il faisait de la peinture. Mais mes favoris ne sont pas sur le Net (ou très difficiles à retrouver) ; d'abord, cette superbe leçon de physique :
Si on jette d'une fenêtre un chat et une lampe allumée, les deux arrivent au sol en même temps. Cela montre que les chats vont à la même vitesse que la lumière, contrairement à ce que prétendait Einstein. En plus, le chat retombe sur ses pattes, lui.
À présent, un peu d'éthologie :
Quand on ouvre une boîte de conserve chaque jour devant un chimpanzé, et qu'au bout d'un mois on pose simplement devant lui une nouvelle boîte et un ouvre-boîte, le chimpanzé vous mord.
Et pour finir, cette observation inclassable :
Si on met dans une cage un lion affamé, un pauvre affamé, et une côtelette, ce n'est jamais la côtelette qui gagne,
qui me rappelle pourtant un autre « proverbe » yiddish:
Quand un pauvre mange un poulet, l'un des deux est malade.
|
|
Dans le même ordre d'idées, on trouve souvent des perles remarquables dans les signatures de certains participants aux forums de Usenet; ainsi, de Bill Taylor
Les trous noirs, ce sont les endroits où Dieu a fait des divisions par zéro.
Et c'est tellement vrai... Je ne sais plus où j'ai lu la remarque suivante , mais c'est un résumé extraordinaire des principes de base de la mécanique quantique:
La matière est paresseuse : elle choisit toujours le chemin de moindre effort La matière est stupide : elle essaie d'abord tous les autres chemins.
J'ai un peu plus honte de ce qui suit (de Groucho Marx, je crois, mais c'est aussi par Bill Taylor que je l'ai découvert), mais ça me fait toujours rire :
En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l'homme ; à l'intérieur du chien, il fait trop sombre pour lire, de toute façon.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Certaines « histoires
juives » ont souvent un caractère extrêmement profond, ce qui est un bon prétexte pour présenter ici les histoires drôles que je préfère ; j’ai essayé
d’obtenir des versions aussi parfaitement écrites que possibles (mais c’est
souvent sous leur forme orale, avec rythme et intonation, qu’elles me font
le plus rire )
|
|
Un exemple d’histoire de Radio-Erevan (la capitale de l'Arménie), pour commencer.
Un auditeur nous
demande : « Y aura-t-il encore de l’argent lorsque ce sera
le communisme ?» Nous répondons « Il y a à ce sujet
plusieurs opinions. Il y a celle des camarades chinois, les déviationnistes
de gauche, qui disent ‘Non, il n’y aura plus d’argent sous le régime
communiste’. Il y a celle des camarades italiens, les révisionnistes de droite,
qui disent ‘Oui, il y aura encore de l’argent sous le régime communiste’.
Et puis, il y a la position juste, celle de notre Parti : ‘Cela
dépend : certains en auront, d’autres pas’. »
|
|
L’histoire suivante combine
deux thèmes : l’anticommunisme (primaire, voir « le Communisme
est-il soluble dans l’alcool ? », de Antoine et Philippe Meyer)
et l’anti-antisémitisme.
On annonce à
Moscou la livraison de chaussures d’importation. Dans le froid et la nuit,
une queue se forme, et à l’ouverture des portes du Goum, à 8 heures, elle
fait déjà trois pâtés de maisons (et il neige). Les employés du Goum sortent affolés, rentrent, se
concertent… À 8 heures 30, une annonce est faite par les haut-parleurs du
magasin : « Camarades, la livraison ne sera pas suffisante pour
vous satisfaire tous ; nous demandons aux juifs de quitter la
queue ». La queue ne diminue évidemment guère, et, vers 9 heures, une
nouvelle annonce est faite :
« Camarades, cette première mesure n’a pas suffit ; nous
demandons aux membres des minorités de quitter la queue ». Les
Ouzbeks, les Tchétchènes et autres Lettons s’en vont, et, alors qu’il neige
toujours, il n’y a plus qu’une queue longue d’un pâté de maisons, formée de
Russes qui attendent patiemment. Arrive alors une limousine du Parti, des
cadres en descendent et vont discuter avec le directeur du Goum. À midi,
une nouvelle annonce est faite : « Camarades, il n’y aura
décidément pas assez de chaussures pour tous ; nous demandons à tous
ceux qui ne sont pas membres du Parti de rentrer chez eux ». Là, la
queue diminue sérieusement. Il neige un peu moins, et la petite foule qui
reste voit arriver vers 15 heures une immense limousine d’où descendent de
très hauts cadres du Parti, et l’un d’eux prend la parole :
« Camarades, nous sommes à présent entre nous ; vous avez
certainement déjà compris qu’il n’y a jamais eu de livraison de chaussures
étrangères ; cette nouvelle était destinée à remonter le moral de la
population. Vous pouvez à présent tranquillement vous disperser et rentrer
chez vous ». Et là, on entend dans la foule un type s’écrier
« Évidemment, comme d’habitude, c’est les juifs qui ont été prévenus
les premiers »
|
|
Celle-ci est vraiment typique de l'humour yiddish traditionnel; il y en a plusieurs versions, mais voici ma préférée (un tout petit peu abrégée : comme la précédente, elle est proche, dans le style, des "shaggy dog stories", et donc le conteur doit la faire durer ce qu'en peut supporter l'auditoire).
C'est l'histoire de deux cousins (juifs, bien sûr) qui se retrouvent après une séparation de vingt ans. Le français a bien réussi, et il invite son cousin polonais pour une semaine à Paris, lui fait tout visiter, lui offre de bons restaurants, l'emmène aux Folies-Bergères, etc. L'année suivante, c'est le tour du polonais de l'inviter, et, bien que peu aisé, il fait de son mieux dans son village de Pologne, le nourrit royalement, l'emmène faire de longues promenades, et, le dernier jour... lui présente la note. « Comment cela, 2000 zlotys », s'étonne le cousin français ; « je n'étais pas ton invité ? » « Si, mais je ne suis pas riche comme toi, j'ai eu des frais, d'ailleurs regarde, j'ai calculé au plus juste », et, voyant que son cousin commence à se fâcher, il lui propose, pour régler la question, d'aller en référer au rabbin. « Ah oui, en effet, j'aimerais bien voir ce que le rabbin va en dire », ricane le français. Le rabbin reçoit les deux cousins, et, en apprenant l'affaire, s'écrie « Vous tombez bien, c'est un problème difficile, mais j'ai justement passé ma thèse sur des questions de ce genre; attendez que je consulte quelques livres pour plus de sûreté », et, revenant un quart d'heure plus tard, confirme « Il n'y a pas de doute; vous lui devez bien 2000 zlotys ». Ils prennent congé, et en sortant, effondré, le français commence à compter les billets. « Mais qu'est-ce que tu fais ? » « Tu vois bien, je te paie ». « Comment cela, tu me paies ? c'est ridicule; tu es mon invité, et mon cousin... », et voyant que l'autre va avoir une attaque : « Attends, je vais t'expliquer. Tu m'as invité à Paris, tu m'as reçu comme un prince, tu m'as montré des merveilles, et je me suis dit "et moi, qu'est-ce que je vais pouvoir lui montrer, dans mon pauvre petit village?". Et là, j'ai eu une idée; je me suis dit : "et si je lui montrais l'imbécile qu'on a comme rabbin?" »
|
|
En revanche, l'histoire suivante est fort récente (d'ailleurs, c'est sur Internet que je l'ai découverte). Et c'est un bon exemple de la façon dont on peut "fabriquer" de nouvelles histoires. Bien sûr, elle séduira surtout les gens qui fréquentent les milieux universitaires...
C'est l'histoire d'un lapin qui folâtre gaiement dans les bois, dans les champs, et qui est soudain attrapé par un renard. « Ah, voilà qui est fort ennuyeux », dit le lapin, « j'étais juste sur le point de finir ma thèse ». « Tu fais une thèse? », s'étonne le renard, « et sur quel sujet? » « Elle s'intitule "de la supériorité naturelle des lapins sur les loups et les renards" », dit le lapin, et devant l'incrédulité du renard, il lui propose de venir dans son terrier la voir : « De toute façon, je ne peux pas t'échapper, tu me mangeras après... ».
Quelques jours plus tard, le même lapin, folâtrant de plus belle, est attrapé par un loup. Le même dialogue se reproduit, et le loup, n'en croyant pas ses oreilles, accompagne à son tour le lapin jusqu'à son terrier.
Encore un peu plus tard, nous retrouvons le lapin, nettement moins folâtre, et des cernes sous les yeux, qui rencontre un de ses copains lapins. « Ouf », lui dit notre lapin, « j'ai enfin fini ma thèse ». « Tu faisais une thèse, toi? et sur quoi ? » « Elle s'intitule "de la supériorité naturelle des lapins sur les loups et les renards" », dit le lapin, et voyant la stupeur de son copain, il l'emmène dans son terrier, un terrier tout à fait normal de lapin thésard, avec des crottes de lapin, des livres un peu partout, un grand bureau avec une pile de papiers et, d'un côté, un tas de squelettes de loups, de l'autre côté, un tas de peaux de renards, et au milieu, un lion.
Et la morale de cette histoire, c'est : « Peu importe le sujet de votre thèse ; ce qui compte, c'est la personnalité de votre directeur de recherche ».
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Voici une liste d'entrées de mon journal, donnant (ou pointant vers) des textes et des citations que je trouve, elles aussi, assez exemplaires
Un peu de poésie dans un monde de brutes
Grammaire, contes de fées et poésie
Un peu de sagesse pour Noël?
Je pense à toi, Desnos
L'Affiche Rouge
Grammairiens scrupuleux
Vœux d'outre-tombe
Verlaine secret
|
|
|
|
|
|
|
|
|