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Morceaux de bravoure

 

 

Depuis des années, et parfois des décennies, je raconte à qui veut bien l'entendre (la plupart du temps, de malheureuses victimes rencontrées dans des stages ou des tournois de Go) certaines anecdotes, théories fumeuses ou histoires soi-disant drôles dont le seul mérite est d'être essentiellement de moi. J'ai décidé de les mettre ici par écrit (vous perdrez ainsi mon extraordinaire talent de conteur, mais ne vous réjouissez pas trop vite, je vais bien finir par apprendre à me servir d'un micro).

Voici donc mes divagations sur :

La devinette des kallikanzaros
Princesses
Comme le monde est petit
Une histoire de tortue
Mes démélés avec le tiramisu
La théorie de la recherche, et les fausses cartes
Faits divers
Malchances et maladresses

 

Et des pointeurs vers les entrées de mon "journal peu intime" présentant le même caractère, et que je trouve suffisamment bien rédigées :

Mon ex-épouse était-elle vraiment française ?
Piments
Numérologie intime
Vingt-neuf deniers ;
dans le même genre (mais l'effet relève plutôt du comique de répétition), vous pouvez aussi consulter cette page regroupant les entrées relatant mes déboires informatiques...

De même, de nombreuses "histoires drôles", bons mots et autres petites choses amusantes ne sauraient trouver place sur ma page de textes exemplaires, mais il faut bien que je vous les inflige quelque part...

 

 

 

La devinette des kallikanzaros

Dans un des premiers romans de Roger Zelazny, Toi l'immortel (This immortal) , le héros explique que les kallikanzaros, démons grecs modernes, posent au voyageur imprudent qu'ils rencontrent la devinette des kallikanzaros : "Plume ou plomb?" "Je ne sais pas", dit le voyageur, " que dois-je faire?" "Choisis". "Plume?" "Désolé, tu as perdu, c'était plomb" "Et si j'avais dit plomb?" "Désolé, on ne joue qu'une fois". Et, comme le fait remarquer l'un des acteurs du livre, "Ça semble un jeu assez injuste", ce qui me rappelle l'histoire, tout aussi zelaznienne, du voyageur pressé traversant le raccourci par la forêt où le Diable est censé rôder, et pensant en lui-même qu'il est un homme intègre et pieux, et que si le Diable devait s'emparer de lui uniquement pour cette raison, c'est qu'il n'y aurait vraiment pas de justice. Et il entend alors ricaner derrière lui : "Mais il n'y a pas de justice"... Quoi qu'il en soit, j'avais mis au point dans les années 80 (avec l'aide de Jean-Pierre Cornouailles) cette variante adaptée à certaines de nos copines de l'époque : "À ton avis, je suis fâchée ou pas fâchée?" "Heu, je ne sais pas... Fâchée?" "Non, je n'étais pas fâchée... jusque-là" ; on aura reconnu là, d'ailleurs, une des manœuvres standard de la parfaite mère juive : " Poussez chaque jour un profond soupir (le soupir culpabilisant de base); si vous ne savez pas ce qu'il a fait pour vous faire souffrir, lui le sait "

 

 

Princesses

Je ne suis plus très fier de ce qui suit. Et cela ne me semble plus aussi juste que par le passé. Mais je vous ai prévenu : ce sont des divagations, et d'autres les ont déjà subies avant vous, qui n'avaient pas les moyens de partir...

Donc, parmi les joueuses de go (une espèce très rare jadis), j'avais construit une typologie autour de la notion de princesse, qui peut encore servir (et dans d'autres milieux...). D'abord, il y a les vraies princesses (le modèle de la fille aux sept matelas et au petit pois), avec deux grands sous-types : les princesses passives ("on doit m'admirer, m'offrir des cadeaux, etc.") et les futures reines ("faites ceci, faites cela..."). Ainsi, dans Le temps des amours, la fille dont s'éprend le jeune Marcel ("Mon pauvre garçon, si elles te font manger des sauterelles maintenant, qu'est-ce qu'elles te feront avaler plus tard?") est évidemment une future reine, tout comme Gilberte Swann, alors que, par exemple, la fille aimée du Grand Meaulnes, la Sylvie de Nerval, ou l'Albertine de Proust, sont des princesses. Nous trouvons ensuite les princesses en exil : le peuple s'est révolté, le château a brûlé, le roi est mort, et elles sont in-con-so-la-bles (il faut, bien sûr, beaucoup les aimer, mais cela ne servira à rien). Il y a moins d'exemples littéraires, même dans les contes : Peau d'Âne fuit son père (ce n'est pas un vrai exil), et Cosette, qui aurait tout à fait le profil, n'en "profite" pas; en revanche, dans la vraie vie, chacun de mes lecteurs en a sûrement rencontré (une variante plus fréquente étant tout simplement la princesse chassée par ses parents, qui ne la comprenaient pas). Le troisième modèle de base est celui de la princesse qui ne sait pas qu'elle en est une (Blanche-Neige, par exemple). Dans les contes et les romans, celle-là est découverte par l'homme de sa vie, qui la révèle à elle-même, après avoir su (grâce aux yeux de l'Amour) être le premier à percevoir sa vraie nature. Dans la réalité, soyons francs, ce dernier modèle est beaucoup plus hypocrite : elle est parfaitement consciente d'être une princesse, mais tient le discours modeste de la bergère attendant son prince charmant.

Bien entendu, il n'y a pas que des princesses. D'abord, avec l'âge, la princesse se change en reine, en femme, ou tout simplement découvre qu'elle n'est plus capable de jouer de rôle (ce qui est particulièrement catastrophique pour les filles trop belles, et qui en ont trop profité). Ensuite, et puisque je parlais du milieu du go (ou plus précisément de sa version des années 70-80), il faut préciser qu'outre les filles séductrices (parmi lesquelles se recrutent les princesses), il y avait, même à cette époque, un tout autre modèle de joueuse : la fille qui veut concurrencer les hommes sur leur terrain (un jeu compétitif intellectuel favorise, évidemment, ce type de profil, même dans une société peu sexiste, ce qui n'était sûrement pas le cas du milieu du go en ce temps-là). Et nous disions, vers 1985 ou un peu avant, qu'il y avait donc trois catégories principales : les joueuses "séductrices", utilisant l'une ou l'autre facette de leur féminité pour conquérir une place dans ce milieu, les Amazones, jouant "comme des hommes", et souvent mieux qu'eux, et une catégorie réduite à une seule personne, la mystérieuse X*** (allez, il y a prescription, alors disons, suivant les dates, Anne et/ou Monique ; les initiés les reconnaitront) qui semblait ne pas voir qu'elle avait une stratégie à choisir, et qui se débrouillait pour jouer bien, et même fort bien, sans faire preuve d'aggressivité, ni se trouver un joueur fort comme petit copain...

 

 

Comme le monde est petit

Vous avez sûrement déjà remarqué ces coïncidences : peut-être savez-vous même qu'elles ont été étudiées en sociologie (sous l'étiquette de "6 degrés de séparation"). J'en détiens une collection considérable, allant de ma rencontre indépendante de gens dont je découvre par la suite les liens (ainsi, Jacques Roubaud et Paul Brafford, que j'ai respectivement connus en jouant au go et en cherchant un patron de thèse au CNRS), jusqu'à la peu croyable aventure suivante : sur un bateau en Indonésie, Anne et Hervé Dicky entendent des français raconter (très fort) une de ces anecdotes peu plausibles qui n'arrivent qu'à moi (non, je ne vous la raconterai pas (ou du moins pas aujourd'hui et pas ici) ; sachez seulement que mes amis intimes et qui la connaissent l'appelle "l'histoire du papillon"). Ils s'approchent, et, bien sûr, découvrent que ces gens qu'ils ne connaissaient pas parlaient bien, en effet, de mon histoire... J'ai construit jadis une explication dickienne (au sens de Philippe K. Dick) de la chose : nous vivons dans un film (ou un spectacle pour extra-terrestres); il n'y a sur Terre que quelques centaines de "vraies" personnes (les autres sont des figurants mal payés, ou des robots), et même les décors se répètent (ça doit être un film à petit budget). J'étais assez content de ma théorie, jusqu'à ce que je voie le Truman Show...

 




 

Une histoire de tortue

Michel Zaltzmann (connu des joueurs de go sous le surnom de Zaza) avait, quand sa fille était petite, donné à sa tortue favorite (celle de sa fille) le nom de "huitfoisseptcinquantesix", espérant ainsi lui faire mémoriser sans douleur cet article particulièrement délicat des tables de multiplication. Virginie appelait donc régulièrement "huitfoisseptcinquantesix, viens manger ta salade", etc. Puis la tortue mourut (comme toutes les tortues d'appartement), et, après un bel enterrement au fond du jardin, l'histoire fut oubliée. Mais l'année suivante, Michel fut appelé en urgence à l'école, à cause du chagrin incompréhensible de sa fille, et, quand il demanda à Virginie ce qui se passait, il l'entendit répondre, en larmes "On vient de faire la table des septs..." (ce qui, par association d'idées, me renvoie à l'anecdote de Nodier sur ce que comprennent vraiment les enfants aux histoires qu'on leur raconte...). Ah oui, bien sûr, puisqu'on parle de go, cela explique enfin le fameux proverbe "le dos de tortue vaut 60 points" (et précise même un peu cette valeur). En revanche, tout ceci ne nous ramène pas à 42, qui lui, comme le sait tout lecteur de Douglas Adams, vaut 6 fois 9... (au fait, vous savez ce que c'est, H2G2?)

 




 

Mes démélés avec le tiramisu

Vers la fin des années 80, un petit restaurant italien, ouvert depuis peu à Montpellier et tenu par une charmante Napolitaine (ou quelque chose comme cela) se mit à servir ce délicieux dessert (enfin, il peut être délicieux; d'ailleurs, vous pourrez en trouver ma version sur la page appropriée ; mais n'anticipons pas) . Nous ne pûmes tirer d'elle qu'une traduction/étymologie plus ou moins folklorique ("tire-toi de là" : on donnait ça aux malades pour les obliger à se lever). Le restaurant changea de propriétaire vers 1990, et je commençai ma longue quête. À cette époque, les restaurants connaissant et servant la chose étaient rares, et ma malchance habituelle faisant le reste, je pus, devant témoins (principalement Anne et Philippe Bizard, les animateurs du tournoi de go de Grenoble, et qui, à l'époque, fréquentaient tous les congrès européens) être privé de tiramisu pour les raisons et dans les lieux les plus variés : à Namur, parce qu'exceptionnellement, ils n'en avaient pas fait ce jour-là; à Vienne, parce qu'ils venaient d'en servir la dernière part ; à Prague, parce que une fâcheuse maladresse avait renversé une autre dernière part... Vint, vers 1995, le temps de la démocratisation du tiramisu : on se mit à en trouver dans toutes les pizzerias. Et, bien sûr (et tout comme pour les pizzas, d'ailleurs), il n'était guère fameux, en moyenne, et mes souvenirs mythiques commençant à s'estomper (ce qui me rappelle que j'ai bu chez Thuillier, à l'Ousteou de Beaumanière (et ça, ça ne nous rajeunit vraiment pas) le meilleur café de ma vie, dont le souvenir me hante toujours : il avait le goût de son odeur...), je commençais à désespérer, quand en 1998, Internet allait changer ma vie, en m'offrant des sites entiers de recettes, qu'il ne me restait plus qu'à tester et à adapter. Une fois maître du tiramisu et de mon destin, je me précipitai chez le copain (Denis Labro) qui m'avait fait connaître le restaurant italien initial, et lui racontai mon triomphe. "Ah", me dit-il "pourquoi ne m'en avoir pas parlé plus tôt?" (je dois dire à sa décharge qu'il n'était pas là lors de mes mésaventures européennes, mais je ne peux croire qu'il ne m'ait pas entendu en parler; je vais finir par vraiment penser que les gens n'écoutent pas ce que je dis...) et d'ajouter "quand l'ancienne patronne est retournée à Naples (enfin, si c'était bien Naples), elle nous avait laissé la recette du tiramisu, mais j'ignorais que ça pouvait t'intéresser..."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La théorie de la recherche, et les fausses cartes

Robert Sheckley est l'auteur de nouvelles et de romans de science-fiction humoristiques et peu classables, dans lesquelles se trouvent des petits bijoux que je me suis souvent fait une joie d'exposer à ces malheureux auditeurs dont je parle dans l'introduction (et aussi dans l'introduction à mon site). Voici mes deux préférés : d'abord, dans Les erreurs de Joenes (Journey of Joenes), la théorie de la fausse carte.
Joenes se retrouve dans l'Octogone (le bâtiment qui a remplacé le Pentagone, devenu trop petit), muni d'un plan lui disant où se rendre. Il découvre rapidement que rien sur ce plan ne correspond à ce qu'il voit, et finit par interpeller le premier venu, qui s'avère être un colonel-cartographe. "Ah", lui explique ce dernier, "vous êtes tombé sur une de nos fausses cartes". Il lui raconte comment, si un espion parvenait à franchir les défenses du bâtiment, il se retrouverait complètement perdu. "Mais pourquoi ne jetterait-il pas la carte, et ne se servirait-il pas de son entraînement d'espion pour s'orienter?" "Parce que tout son entraînement est justement conçu pour qu'il interprète un tel document (hautement officiel, et qu'il a eu le plus grand mal à se procurer) comme un message codé" Le colonel explique alors comment l'espion analysera rationnellement le cas où la carte est codée (et, en tant qu'expert en codes, il n'a plus qu'à la décoder), et le cas où elle est simplement fausse, et alors, elle doit ne pas représenter, même par hasard, le vrai plan ; elle a donc été soigneusement contrôlée pour cela, et en tant qu'objet représentant une déformation complète de la réalité, c'est qu'elle est codée quand même. Et l'espion s'asseoit pour se livrer à ce qui sera son plus bel exploit, et qu'il n'achèvera pas, eût-il un million d'années devant lui : il se met à décoder la fausse carte. "Pauvre espion... et vous en attrapez beaucoup ainsi?" "Aucun n'a encore réussi à franchir nos défenses extérieures..."

C'est dans Transfert interstellaire (Mindswap) qu'il expose la théorie de la recherche
Le héros, Marvin, qui a déjà connu bien des péripéties déplaisantes (et hilarantes) est à la recherche de sa fiancée (il vient de demander aux vieillards du village s'ils n'avaient pas vu passer un peu plus tôt une fille belle comme le jour, aux cheveux brillants comme le soleil, aux yeux profonds comme un lac de montagne, etc., et ils lui ont répondu en pleurant qu'ils n'avaient pas vu quelqu'un comme cela, ni ce jour-là, ni aucun des jours de leurs vies, alors il s'est un peu calmé et leur a fait une description plus objective). Vient à passer un homme prêt à l'aider. Il ne la connaît pas, mais, dit-il, il est un expert en théorie de la recherche ("Si vous saviez tout sur elle, vous n'auriez pas besoin de moi pour la retrouver, n'est-ce pas? Eh bien, moi, je sais tout de la théorie de la recherche, alors..."). Et on apprend ainsi que quand deux personnes se cherchent, la bonne stratégie est que l'une d'elle reste immobile tandis que l'autre explore systématiquement tous les endroits possibles, et comme la plupart des gens ignorent la théorie, c'est donc à celui qui la connaît de chercher un endroit approprié (un point locatif) et de n'en plus bouger. Et ils se dirigent vers celui choisi par l'expert (à des centaines de kilomètres de là, à travers des étendues montagneuses glacées), et qui s'avère être le village natal de l'expert (mais c'est un pur hasard, et de toute façon tous les points locatifs se valent, selon la théorie). Une fois arrivé là, Marvin retrouvera, bien sûr, tout le monde, dont son oncle Ernest, perdu depuis trente-cinq ans...

 




 

Faits divers

L'été 1993 fut particulièrement riche en faits divers burlesques : d'abord, la piscine Deligny coula (au congrès de go européen, il me fut souvent demandé comment une piscine pouvait couler ; peu de gens savent qu'elle flottait (jusque-là) sur la Seine). Deux autres incidents étonnants allaient résulter de la canicule : la combustion du plus vieux pont suisse (en bois, bien sûr, mais comme pour la piscine, la simple lecture du titre laissait perplexe), et l'incendie accidentel le plus coûteux (en rapport surface/prix) de l'histoire. Jugez plutôt : une fusée de feu d'artifice avait brûlé 30 mètres carrés de bois, pour un dégât de plusieurs millions de francs. Là aussi, on a du mal à comprendre, jusqu'à ce qu'on apprenne qu'elle avait pénétré par la fenêtre d'un château, et mis le feu à un parquet classé... Mais mes faits divers favoris remontent à la fin des années 80 ; les voici tels que je les ai recueillis dans Libération (dans les deux cas, il s'agissait de synthèses écrits après le procès, mais elles sont peut-être un peu déformées, d'avoir été si souvent racontées).

Les amants diaboliques et maladroits

C'est l'histoire d'un jeune couple qui vit à 100 à l'heure. Ils se rencontrent, ils s'aiment, ils se marient, ils ont un enfant, le tout en moins d'un an. Et, dès la naissance de l'enfant, ils ne s'aiment plus ; en fait, la jeune fille (ils ont tous moins de 20 ans) a pris pour amant le meilleur ami (garagiste) de son mari, et ils en sont déjà à comploter sa mort. Alors, un beau soir, l'amant sabote les freins de la voiture du mari, ils l'envoient sous un prétexte faire une course en ville, et débouchent le champagne pour fêter le succès de leur entreprise. Sur quoi, le mari débarque, inquiet, explique à son ami que les freins ne répondent pas, et s'étonne de ce champagne. Nullement découragés, ils lui racontent un bobard quelconque, le font boire, et en profitent pour lui faire prendre un somnifère. Puis ils retournent à la voiture (avec le bébé dans les bras, lequel va assister à toute la suite de l'aventure), l'y font asseoir, et tentent de l'asphyxier. Ils disposaient pour cela d'une bouteille de camping-gaz à moitié vide... Un peu plus tard, alors qu'ils continuent à boire, ils voient réapparaître le mari, tout ensommeillé, se plaignant d'un fort mal de tête, et d'une odeur bizarre. Un peu énervés, ils décident d'en finir, le ramènent à la voiture, à laquelle ils mettent le feu... réussissant à roussir le tableau de bord. Là, l'épouse infidèle demande à son amant d'agir plus sérieusement; il saisit alors le cric et lui en assène un coup tout aussi maladroit que ce qui a précédé, l'écorchant seulement. Mais la vue du sang émeut tant la jeune femme qu'elle décide qu'il faut appeler un médecin. Et c'est seulement à son arrivée que le mari, commençant à soupçonner qu'on ne lui voulait pas que du bien, a appelé la police. Au procès, les deux amants ont écopé de 10 ans fermes, et je me suis souvent demandé si le jury n'avait pas sanctionné là la bêtise plutôt que la méchanceté...

Une étrange histoire de lesbienne

Celle-là, au contraire, s'étale sur de longues années. Au début (quand ils ont tous deux une vingtaine d'années), ils se rencontrent, s'aiment, ont un enfant. Les années passent, et, après sept ans de mariage, il s'aperçoit que sa femme a une aventure... avec une de ses collègues de bureau (à lui). Ne supportant pas la révélation de l'homosexualité (ou bisexualité?) de son épouse, il exige le divorce. Il se remarie alors avec une amie d'enfance (tout cela se passait dans une ville moyenne du Sud-Ouest), et la vie continue, sauf qu'il rencontre régulièrement son ex-épouse dans le cadre des gardes alternées et de la vie scolaire de l'enfant. Et finalement, il se rend compte qu'il l'aime toujours, qu'elle est restée fort belle, etc. Il divorce donc à nouveau, et réépouse (si, si ; c'est légal, même si c'est peu fréquent) sa première femme (à ce stade, ils ont tous deux la quarantaine). Et là, vous n'allez pas le croire, il ne s'écoule guère de temps avant qu'il découvre que cette gourgandine est restée tout aussi lesbienne que jadis, et a une aventure, encore, avec une autre de ses collègues. Là, enfin, son sang ne fit pas cent tours, son sang ne fit pas cinquante tours (j'abrège pour ne pas lasser le lecteur), non, mesdames et messieurs, son sang ne fit qu'un tour. Et il tira (au fusil) sur sa femme et sur sa collègue, ne faisant que blesser cette dernière, mais tuant sa femme. Ce drame de la jalousie manquerait encore d'intérêt, si, au procès, la sœur aînée de la victime, homosexuelle déclarée et membre militante d'une association genre FHAR n'avait manifesté un fort scepticisme ("ma sœur, homosexuelle ? impossible, elle me l'aurait dit"), confirmé par le témoignage de leur fille, à présent âgée de 18 ans ("maman, homosexuelle ? je l'aurais su...") qui laissa perplexe le tribunal...

 




 

Malchances et maladresses

Dans Les joies du Yiddish (un livre au demeurant fort recommendable) est exposé par l'exemple le sens de nombreux termes peu traduisibles : ainsi, le schlemiel, c'est le maladroit, celui qui laisse tomber le fer à repasser ; le schlemazel, c'est le malchanceux, celui qui le reçoit sur le pied, tandis que le kibbitz regarde la scène en faisant "Tsk, tsk" ; mais il faut nuancer en précisant qu'il y a chez le schlemiel (et peut-être aussi chez le schlemazel) une bonne dose d'imbécilité, accompagnée d'un talent certain pour les gaffes. Étiqueté schlemazel depuis ma plus tendre enfance, je me suis fait un devoir d'être à la hauteur, perdant par exemple un nombre incalculable d'affaires scolaires (y compris celles prêtées par mon père). Voici quelques anecdotes sans doute plus amusantes, et en tout cas moins banales...

Où l'on voit que je ne pers pas toujours mes affaires

C'est dans le métro qui me ramenait du collège à la maison que j'ai perdu, l'année de mes 11 ans, le béret de mon frère : je l'avais embarqué par erreur en plus du mien, et c'est en arrivant sur le quai que j'ai découvert dans ma poche ce béret inconnu. J'aurais dû le ramener au bureau des objets trouvés, mais il m'aurait fallu ressortir du métro, or je n'avais qu'un seul ticket (et si peu d'argent de poche qu'il n'était pas question d'en racheter un autre). Que faire ? Je décidai prudemment de le déposer sur un banc, pour ne pas subir de reproches à la maison, et me hâtai d'oublier l'affaire. Mais, dès mon arrivée, maman me demanda "N'as-tu pas vu le béret de ton frère?", et je m'écriai "Ah, c'était le béret de Laurent", ce qui ne fut guère apprécié... La même année , j'ai un jour embarqué sa paire de baskets en plus des miennes. Arrivé dans le vestiaire, je me suis empressé d'en perdre une (évidemment: mon sac était trop plein), que le prof a trouvée. Mais quand il a demandé à qui elle était, j'ai contrôlé que dans mon sac, il s'en trouvait au moins trois, ce qui m'a semblé largement suffisant... Une fois de plus, mon récit, de retour à la maison, ne me rapporta pas de félicitations.

Comment se blesser dans la bonne humeur

Si je devais en faire un film, j'aurais sans doute beaucoup de mal pour reproduire certains de mes accidents. L'un des plus simples a consisté, en enfonçant un clou, à se taper sur les doigts... de la main tenant le marteau. Si, si, c'est possible : imaginez une journée très chaude; la main, couverte de sueur, lâche sa prise sur le marteau, lequel frappe à la volée les doigts qui ont avancés pour le ressaisir. Mais j'ai aussi réussi (devant témoin, à savoir Patrick) à me faire poinçonner le doigt, du temps des anciens poinçonneurs du métro (enfin, seulement à le pincer jusqu'au sang, mais même cela, le pauvre homme ne l'avait, et pour cause, jamais vu); je me suis écorché avec une pierre de go (ça, je préfère vous laisser chercher tout seul comment faire), avec des morceaux de pain, avec des livres et des billets de banque... Mais ma mise en scène la plus élaborée a eu pour cadre les petites chambres (les thurnes) que nous occupions rue d'Ulm : elles avaient toutes un minuscule cabinet de toilette masqué par un rideau. Un soir de fête, devant une douzaine de personnes, je me suis servi un verre de sirop de menthe, puis, passant ma main à l'aveuglette derrière le rideau, je me suis préparé à y ajouter de l'eau. Les spectateurs m'ont alors vu jeter mon verre en l'air en poussant un cri, et se sont retrouvés aspergés de sirop (et le sol jonché d'éclats de verre) : un brûle-parfum était allumé dans le lavabo, et je m'y étais fortement brûlé. Bien sûr, j'ai maladroitement cherché à réparer les dégâts, ne faisant que rajouter un peu de rouge sur tout ce vert...

Malchances diverses

J'en ai raconté quelques-unes, ici et ailleurs. J'ai été précocement marqué par celle qui s'est produite pour l'anniversaire de mes neuf ans, lequel aurait dû être triomphal : une émission de jeu télévisé "culturelle" pour enfants (où j'étais évidemment incollable) passait tous les jeudis, et, comme cela tombait un jour de carnaval (donc tout près de mon anniversaire), ma mère m'y avait inscrit par surprise (ces dernières années, elle essayait encore de me faire passer à "Questions pour un champion", mais, bien sûr, ma candidature n'a jamais été retenue). J'y étais arrivé dans un superbe déguisement de chinois, pour découvrir que, exceptionnellement, ils avaient remplacé leurs questions usuelles par une épreuve "sportive" (du vélo, en plus), qui eut pour seul résultat de déchiqueter mon beau costume en papier... Mais, de façon générale, j'ai aussi beaucoup de mal à obtenir ma commande dans les restaurants ; on l'a vu pour le tiramisu, mais il en va de même de presque toutes mes tentatives d'obtenir quelque chose qui figure à la carte, et qui sort un peu de l'ordinaire, par exemple des jus de fruits exotiques, ou des pâtes avec un accompagnement genre roquefort et noix, etc.; j'ai même réussi, à Pékin, à me voir refuser un plat dont tout ce que je savais (et pour cause) est que c'était du canard ; mon plus bel exploit restant, sur la gigantesque carte des vins qu'avait Pierre Gagnaire à Saint-Étienne, d'avoir sélectionné presque au hasard un bourgogne blanc, et d'avoir vu le sommelier venir me demander par quel prodige j'avais choisi la seule bouteille qu'il ne possédait plus... Dans un genre différent, notre premier hiver ardéchois (dans une maison en chantier, donc glaciale) fut marqué par des chutes de neige exceptionnelles, aussi, nous décidâmes d'investir dans un chauffage électrique, que nous eûmes le plus grand mal à ramener sur des routes devenues impraticables. Nous nous endormîmes alors dans la seule pièce vaguement isolée, et dans une chaleur douillette, pour être réveillés au milieu de la nuit par le froid glacial habituel : un hélicoptère de secours avait percuté la ligne à haute tension locale, et l'électricité ne fut rétablie que trois jours plus tard...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autres babioles

D'abord, mes deux charades récentes favorites : "mon premier se trouve sur une lampe, mon second sur le front de Tintin, mon troisième dans la bouche d'un bébé, mon quatrième dans le grand Nord, et mon tout est un oiseau rapace." Vous n'avez pas trouvé? Ce n'est pas très étonnant, c'est l'Aigle Noir (Abat-jour / Houpette / Tétine / Inuit, à chanter très fort et très faux...)

Et si vous êtes encore là, que penser de "Mon premier est un animal à queue plate qui ne peut pas s'asseoir, ainsi que mon second et mon troisième ; mon tout est un nombre bien connu" ? La réponse : Pi, bien sûr, car "Trois castors sans chaises"

En fait, il s'agit d'avatars de la "vraie" charade à tiroirs, dont le modèle canonique est celle de Victor Hugo : "Mon premier a été volé, mon second se remplit comme une pipe, mon troisième vaut cent sous, et mon tout est un véhicule" ; outre son côté déjà introuvable à l'époque, ce qui en fait une partie du charme pour moi est que toutes les allusions qui s'y trouvent sont devenues incompréhensibles : la réponse est "Tilbury", car 1) Alcali vola Til 2) Bu, c'est Phal; et Phal s(e) bourre 3) Ri vaut Li; Li, c'est St Louis; et cinq louis, c'est cent sous.

Un peu plus moderne, tout de même, cette jolie définition de 'ar' : "évacue du bois par devant et par derrière", parce que 'archiépiscopaux' (il faudra un jour que je retrouve le reste : Anne Dicky m'a rappelé qu'y figurait aussi "prétend ne pas être citoyen britannique" comme définition de 'er', parce que 'hernie étranglée'...)